Chapitre 19 - Piazza Bologna

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Notte prima degli esami - Antonello Venditti

Depuis que Giulia m'a présenté Livio et Gabriella, mes week-ends ne sont jamais très reposants. Il y a toujours quelque chose à faire, quelqu'un à rejoindre pour se balader ou une soirée de prévue.

En général, le vendredi, je sors plutôt avec les Français : Pierre, Thomas, Victor, Auriane et Laurie. Tout commence par un aperitivo dans le Trastevere. Nous avons en effet découvert le plaisir de boire des Perroni, la bière sarde, et manger des trapizzini sur les marches de la Piazza Trilussa. Ce sont des sandwichs triangulaires remplis d'aubergines à la parmesane, de poulet mariné dans une sauce au vin blanc ou bien de boulettes de viande et j'en passe. Une invention de Dieu, ces trucs-là !

La soirée se poursuit ensuite dans une des boîtes du centre historique où règne une ambiance festive, remplie d'étudiants de toutes les nationalités possibles et inimaginables. On boit des verres, on danse et l'on rencontre de nouvelles personnes.

Le samedi soir en revanche, nous avons instauré un rituel avec Giulia. Alors ce soir, comme d'habitude, j'ai d'abord retrouvé mon amie chez elle, comme la première fois, avec des chips, du vin et de la pizza. Nous écoutons des chansons cultes de nos deux pays, buvons, fumons quelques clopes sur le balcon (je me suis dit que j'arrêterai à la fin de l'Erasmus) et nous nous racontons nos vies.

Ensuite, nous rejoignons la Gabby et Livio devant le Meeting. Livio fait le show, Gabriella le charrie sur tout et n'importe quoi et en observant Giulia depuis un moment, je trouve que quelque chose a changé. Son regard ne se décroche jamais de Livio, elle sourit systématiquement lorsqu'il lui parle et en me concentrant bien, je suis sûre que je peux voir voler des papillons autour d'elle. Je me rapproche discrètement et lui parle en français, assez rapidement, afin de noyer mes mots pour nos deux autres amis.

— Dis-moi Giù, tu ne serais pas en train de tomber amoureuse du grand joufflu par hasard ? lui demandé-je malicieusement.

— Moi ? elle pose sa main sur son cœur face à l'accusation, un large sourire se dessinant sur son visage. Disons que s'il me demande de rentrer avec lui, je ne dirais pas non !

En voilà une info !

Elle m'avoue qu'ils s'envoient des messages de plus en plus souvent et elle a l'impression de lui plaire aussi.

— Mais depuis le temps que vous vous connaissez, pourquoi maintenant ?

— Le timing, dit-elle après un moment d'hésitation. Avant, j'étais encore amoureuse d'Antonio et après, il y a eu Paris. Lui, elle jette un regard discret en direction de Livio, il était en mission humanitaire en Inde, puis il avait une copine et puis là, d'après ce que j'ai compris, ça s'est terminé.

Ragazzi, clamé-je haut et fort, tout en lançant un regard complice à Giulia. Ce soir, on va à l'Ex Dogana ?

L'Ex Dogana est un ancien hangar appartenant à la douane, transformé en boîte de nuit version électro où ne sont présents pratiquement que des Italiens. Ce n'est pas la même ambiance qu'au Circolo degli Illuminati, où l'on se rend avec les Francesi et où la musique est plutôt pop et commerciale, mais l'on y passe de très bonnes soirées aussi.

Daje ! s'exclame Livio, toujours partant pour sortir.

Je demande à Giulia la traduction en un regard, elle me répond instantanément :

Daje, c'est comme quand tu dis allez, let's go ! En italien, on dit dai, et daje c'est du romain.

Ah ! La langue italienne et ses innombrables dialectes...

Entassés dans la Fiat 500 de Livio, au milieu des CD, affaires de sport peu utilisées et autres objets incongrus, nous voilà donc partis vers le quartier de San Lorenzo. Notre chauffeur est imbibé de Negroni, mais je n'ai pas peur. De toute façon, à Rome, tout le monde conduit n'importe comment ! Donc un peu plus, un peu moins... Et puis, sa copilote, Gabriella, le guide à travers les rues pavées. Elle connaît la ville comme sa poche.

Avec Giulia, nous gérons la playlist. Elle passe en revue les albums disponibles à l'arrière de la voiture et en soulève un, tout abimé, en trépignant comme une enfant :

— Oh oui, Venditti !

— Va pour Venditti, même si c'est pas vraiment le mood de la soirée, rechigne Gabby.

Elle attrape le disque des mains de Giulia et l'insère dans le lecteur CD flambant neuf qui détonne de l'habitacle façon seventies.

Dès les premières secondes, tous les trois se mettent à scander les paroles.

Io mi ricordo quattro ragazzi con la chitarra

E un pianoforte sulla spalla

Come i pini di Roma la vita non li spezza

Questa notte è ancora nostra

C'est joli, ces notes légères de piano. Elles me rendent déjà nostalgique de cet instant, je ne saurais dire exactement pourquoi.

La soirée se poursuit, la boite est plutôt bien remplie et la musique fait vibrer les murs. Entre les lumières aveuglantes, je distingue Giulia et Livio qui se tournent autour, ils se cherchent et vont sans aucun doute se trouver.

Je profite que les filles s'éclipsent aux toilettes pour aborder le sujet avec le premier concerné :

— Bon, qu'est-ce que vous attendez là ? crié-je dans son oreille.

Au vu des décibels, je ne peux pas passer par quatre chemins et puis, les filles ne vont pas mettre des heures à revenir. Je vais donc droit au but avec, je l'admets, très peu de pincettes. Livio éclate de rire même s'il fait mine de ne pas comprendre :

— Je ne vois pas du tout de quoi tu fais allusion Chiara !

— C'est ça oui, tu crois que vous êtes discrets à vous bouffer du regard tous les deux ? dis-je en lui faisant une accolade sur l'épaule.

— Je ne sais pas si c'est une bonne idée, avoue-t-il, son regard vérifiant si nos deux amies ne reviennent pas.

— Vous vous entendez bien et si je peux te faire une confidence...

Je me rapproche de lui comme si j'allais lui révéler un énorme secret :

DAJE !

Il éclate de rire et lève la main pour que je la lui tape.

— Bon et toi alors avec ton prince charmant ? Il est où ? Tu attends quoi pour nous le présenter ? me demande-t-il à son tour, d'une voix volontairement ridicule.

— C'est un fantôme ! Je ne peux clairement pas vous présenter un fantôme.

Je sors une cigarette, histoire d'éviter d'envoyer un message regrettable à Sourire. Un truc du genre « tu fais quoi ? » ou bien, « tu dors ? » alors qu'il est actuellement trois heures du matin et que je ne suis pas loin d'être bourrée.

— Tu t'en fous ! T'es en Erasmus Chià, le but, c'est de profiter ! Trouve-toi un autre, dix autres même, s'il le faut.

— Et toi, tu es rentré de ton long voyage humanitaire. Le but, c'est de trouver une perle rare, si tu vois ce que je veux dire !

Je rétorque presque sans un bafouillage. Je m'améliore, dis donc !

Salute ? tente-t-il en me tendant son verre pour trinquer.

Giulia et Gabriella réapparaissent, surgissant parmi la foule. Je fais un clin d'œil plus ou moins discret à Livio, en lançant un signe de tête en direction de notre blondinette.

Un peu plus tard dans la nuit, j'aperçois deux silhouettes familières en train d'onduler dans la fumée blanche et les lumières colorées de cette belle soirée.

Ça ira mieux à RomeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant