LORIC
Ce soir, je porte une vigilance accrue à sa peau nimbée par le crépuscule. J'examine ses gestes et ses postures dans le salon de jardin immense. Je parcours les lignes de son visage, le moindre relief, et redessine la courbe gracieuse de ses cils jusqu'à ce que les premières ombres suspendent mon observation.
— Qui est-ce que tu fixes comme ça ?
Je cligne des yeux. Erlina fait tinter son verre de rosé contre le mien, laissé sur le bar.
— Roxane ? devine-t-elle, les lèvres plissées.
Je ne peux pas nier. Encore moins face à un Alessio qui guette mon regard avec le goulot de sa bière entre les dents, au loin.
— Je crois qu'elle a ce qu'on recherche, formulé-je sans craindre la défiance qu'il me redirige.
— Tu envisages de la recruter ?
— Je ne sais pas.
— Elle est jolie, Loric. Et nos partenariats commencent dans trois mois.
— Oui.
— Tu dois trouver notre modèle photo au plus vite, insiste-t-elle. Propose-lui ?
Les enceintes propulsent une musique latine qui ravit les danseurs grâce à son rythme sulfureux. Ils se servent en petit-four et agitent leurs téléphones autour de Faolan qui improvise des mouvements abominables.
— Ses remarques acerbes la rendent détestable.
— Ça n'a pas l'air de beaucoup t'effrayer...
— Je n'aime pas son comportement.
— Tu devras le canaliser. Elle sera bientôt ton élève.
Mes yeux retournent sur Roxane qui plaisante avec Himi et Falae, près du bar.
— Elle le sait ? continue Erlina.
— Non.
— Tu comptes lui dire ?
— Non plus, fais-je en buvant une gorgée de vin. Elle le découvrira en temps et en heure.
J'allume l'appareil photo attaché à mon cou et commence à m'éloigner. La voix d'Erlina m'interpelle à nouveau, sérieuse :
— Si ton œil professionnel a décelé un potentiel, ne laisse pas ton côté réfractaire s'imposer. Penses-y. À elle.
Je sais ce que je fais. Pour l'instant je me contente d'analyser. Le dos tourné, j'inspire, puis hoche la tête en signe d'assentiment. Je contourne le bâtiment principal, longe les terrains de tennis, et m'arrête devant une plantation de bougainvilliers. Ici, la lumière est parfaite. Les toits en tuiles captent les teintes chaudes du ciel. Je prends plusieurs clichés du paysage et franchis le seuil des écuries. Une atmosphère empreinte de sérénité règne dans les allées où des chevaux de compétition sortent le museau de leurs stalles pour me regarder déambuler. L'odeur du foin caresse mes narines. J'immortalise cet endroit construit de façades blanches.
C'est précisément ce que les gérants du Polo Club m'ont demandé : capturer chaque détail de la vie pendant le séjour de Hailey et de ses petits prodiges. J'attire l'attention du cocker du palefrenier et le guide vers un de ces nombreux équidés. Il s'assoit de lui-même devant un box. Accroupi, j'ajuste le bandeau rouge qu'il porte en guise de collier.
— Bon chien. Ne bouge pas.
Je déclenche une rafale de portraits, mais très vite, ma focale me trahit. Surpris, j'effectue quelques rotations à mon objectif, puis replace mon œil dans le viseur. Les paramètres ont changé. L'arrière-plan n'est plus flou, mais net. Derrière la stalle, la véranda enveloppe Roxane qui discute avec deux serveurs.
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Last Wounds
RomanceUn regard aussi sinistre qu'une plage de sable noir. C'est ce à quoi Roxane Wilheim a pensé quand elle l'a vu pour la première fois. Photographe irlandais, Loric Ardery a tout d'intrigant. L'autorité qui coule dans ses veines ne semble pas là par h...