LORIC
Qu'ai-je fait ? Cette question m'obsède depuis le lever du jour. Je passe mes heures de cours avec le pôle Langues avec cette sensation de manque grandissante.
Sa respiration erratique lorsque je finissais le verre.
La déviation de ses yeux quand les miens les cherchaient.
Sa demande concupiscente au moment où j'ai choisi de ne pas céder.
Son regard ardent avant qu'elle ne quitte ma voiture pour entrer dans son immeuble.J'aurais pu l'embrasser pour la faire taire. J'aurais pu jouer avec le lacet qui refermait le col carré de sa robe, juste pour l'écouter soupirer d'impatience. J'aurais pu mouiller ses clavicules de mes baisers pour connaître la texture de sa peau.
J'aurais pu.
Mais je ne dois jamais.Il est un peu moins de 16:00 lorsque je rejoins ma classe d'ASV1, non sans appréhender ce cours. Mes étudiantes bavardent, comme à leur habitude, tandis que j'entre dans la salle. Toutes me saluent, sauf une. Roxane ne manque pas à l'appel, mais elle est positionnée de façon à m'éviter, tournée vers la fenêtre et encapuchonnée. Je l'ignore et entame la leçon du jour.
Le temps s'écoule et son comportement commence à m'interpeller. Elle ne prend aucune note sur son ordinateur. Elle finit même par se coucher sur sa table, les bras repliés au-dessus de sa tête. Candice lui file un coup de coude pour tenter de la faire réagir, mais rien. Roxane ne daigne pas à se remettre droite sur sa chaise.
Je consulte ma montre. Bientôt vingt minutes que sa posture n'a pas changé. J'en ai assez. J'abandonne ce que je suis en train d'écrire au tableau et me déplace jusqu'à leur rangée sous les regards interrogateurs de mes élèves. Le fracas de mes mains de part et d'autre du haut de son corps lui provoque un sursaut légendaire.
— Wake up ! « Réveille-toi ! » tonné-je alors que ses camarades ricanent.
Roxane se redresse lentement avant de retirer sa capuche. Son visage révèle une pâleur dont je n'avais encore jamais accusé l'apparition. Elle semble malade. Ses cheveux n'ont pas leur brillance quotidienne et ses yeux manquent de ce maquillage subtil qu'elle reproduit chaque matin. Quoique. Les traces noires sur le dessous de ses paupières en sont les restes.
Elle a pleuré.
Et j'ai l'impression que mon cœur tombe au fond de mon âme.— Roxane ? chuchoté-je pour me faire discret. Qu'est-ce qui se passe ?
Elle ne répond pas. Mon estomac se retourne. Candice fouille la poche de sa veste pour prendre son téléphone. Elle me le tend avec une vidéo affichée sur l'écran quand Roxane tente de la stopper par le bras.
— Non ! réagit-elle, la voix enrouée.
— Il faut que quelqu'un soit au courant, persiste son amie. Ce que tu subis, c'est pas normal.
Ce qu'elle subit ?
Je m'empare du portable de Candice sans tarder et appuie sur play. Roxane apparaît devant le barman du Public House. Elle lui sourit, se penche un peu sur le comptoir. Sans entendre ce qu'elle dit, je comprends qu'il s'agit du moment où elle est allée commander de nouvelles boissons. Je réalise l'ampleur du problème qu'au moment où je découvre la description de ce post sur X, probablement écrite par un client qui était présent hier soir :
La légende raconte que #RoxaneWilheim suce pour des verres d'alcool gratuits.
Retourne sur YouTube, ma belle. Là-bas, ton corps nous sert mieux.Les commentaires en dessous sont encore plus cruels et mensongers. Ils frappent mes côtes et écrasent ma gorge. Figées, ses prunelles transmettent une détresse sans fond, une humiliation sans nom. Une larme s'échappe de l'une d'elles et tombe sur sa cuisse pour me ramener aux pluies de mon enfance.
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Last Wounds
RomantizmUn regard aussi sinistre qu'une plage de sable noir. C'est ce à quoi Roxane Wilheim a pensé quand elle l'a vu pour la première fois. Photographe irlandais, Loric Ardery a tout d'intrigant. L'autorité qui coule dans ses veines ne semble pas là par h...