ALESSIO
Papa est ailleurs ces temps-ci. Du genre assez distrait pour se couper avec un couteau de cuisine en épluchant des pommes de terre.
— Ce n'est pas profond, jure-t-il en appuyant sur la plaie. Ça pisse le sang, mais ce n'est pas profond.
— Montre.
Il déploie sa main. Sa lame a dérapé entre son pouce et son index. Je renverse la trousse à pharmacie sur le plan de travail et éponge le flot d'hémoglobine à l'aide d'un lot de compresses. Lorsque l'écoulement s'arrête, je le désinfecte et lui applique un pansement.
— Je t'avais dit de prendre l'économe.
— T'es pas mon père, me chambre-t-il.
Un vrai Evans, borné jusqu'à l'absurde. Quand une idée nous vient en tête, difficile de s'en libérer. On va jusqu'au bout, quitte à le regretter.
Et des regrets, j'en ai à revendre. Je n'aurais pas dû faire cette déclaration à Roxane. Sa réaction n'était pas celle que j'espérais. Je voulais que ses mots remédient à ma détresse, mais je n'ai recueilli que le goût de l'échec et un coup de l'épée Damoclès. Elle a pris sa décision. Elle compte sur Loric pour me remplacer. Je ne parviens pas à croire qu'elle devienne aussi... bête et irresponsable.
Mes doigts se crispent sur le gratin dauphinois que j'enfourne pour mon père. Péniblement, je retourne dans le salon et rattrape mes cours sous la faible lueur d'une bougie à la cannelle. Nos enseignants sont au top. Ils acceptent que nous téléchargions les leçons depuis un site réservé à la fac. Plutôt pratique quand on en loupe la moitié.
Une heure plus tard, l'odeur de l'emmental fondu embaume la pièce. Papa dispose deux assiettes et des couverts sur la table de la salle à manger.
— T'aurais aperçu mon tél quelque part ?
— Ah, non.
— Je vais fouiller dans le garage, me prévient-il avant de s'en aller.
J'éteins mon ordi et m'étire. Son mobile est coincé dans l'angle du canapé, entre un coussin couleur taupe et les fesses de Mambo. Je rigole, puis le tire de dessous mon bouledogue endormi.
— Papa ! m'écrié-je vers la cuisine. Je l'ai !
Je ne peux pas lire le message qui s'affiche à l'écran, faute à l'aperçu masqué, mais l'identité de l'émetteur m'interpelle.
Sandie.
J'épelle chacune de ces lettres. Mes yeux papillonnent. Je ne connais personne à ce nom. Une rencontre récente ? Mon père revient du garage et la curiosité l'emporte sur ma réserve.
— C'est qui, Sandie ? demandé-je, alors.
Une pointe de nervosité me pince le cœur tandis que je lui tends son smartphone. Ses tempes durcissent et ses lèvres s'entrouvrent. Aucun son n'en sort. Il n'avait pas prévu de devoir s'expliquer.
— Une cliente. On discute d'un devis pour une livraison de vins à son domicile.
— Si tard ?
Il évite mon regard.
— Oui.
Je croise les bras en l'observant s'emparer de verres dans le placard. Foutaises. Grâce ou à cause de Roxane, je reconnais les mensonges à des kilomètres. Lui aussi se moque de moi. Je dois avoir la tête d'un mec naïf, facile à berner.
— Tu enregistres souvent le numéro de tes clientes ? persisté-je.
— Alessio, m'avise-t-il, le regard vissé au mur.
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Last Wounds
RomanceUn regard aussi sinistre qu'une plage de sable noir. C'est ce à quoi Roxane Wilheim a pensé quand elle l'a vu pour la première fois. Photographe irlandais, Loric Ardery a tout d'intrigant. L'autorité qui coule dans ses veines ne semble pas là par h...