CHAPITRE 31

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ROXANE

Dans mes moments de péril, j'ai toujours trouvé refuge sur la plage. Naturellement, c'est vers elle que je m'oriente pour avoir la conversation qui pourrait bousculer ma vie.

Il n'y a personne dans ce coin reculé de la ville. Je ramène mon gilet sur ma poitrine tandis que mes pieds foulent le sable doux et humide. La lune illumine les vagues de son voile argenté, projetant une lueur fantomatique sur la cabane dressée près de la berge.

Je m'appuie contre la structure en bois. Je trouve une brindille et m'en sers pour dessiner sur le sol au moment où mon téléphone bipe sur ma cuisse. Je déglutis, puis accepte le FaceTime lancé par ma mère. Elle a respecté notre heure de rendez-vous. Son visage maquillé apparaît sur l'écran, bien qu'il soit flou et pixelisé par un mauvais réseau.

— Tu es dehors ? s'indigne-t-elle.

— Oui. Je prends l'air.

Pas de bonjour. Elle pose son smartphone sur la table basse.  À présent, je ne vois que les moulures du plafond et une lumière rougeâtre produite par un briquet.

— L'air, tu peux le prendre depuis ton balcon, raille-t-elle avant de récupérer son portable. Je ne te verse pas de l'argent chaque mois pour que tu sortes à des heures aussi tardives.

Elle souffle la fumée de sa cigarette et je crois sentir l'odeur du tabac.

— Justement, en parlant de ça...

Le vent irrite ma gorge. Je toussote.

— Je ne veux plus dépendre de toi financièrement, lui annoncé-je, la voix grave.

Ma mère écarquille les yeux avant de pouffer dans son canapé sur mesure. Mon estomac se tord tandis qu'elle place un coussin sous sa tête.

— T'as mangé un clown, ce soir ?

— Non, la rabroué-je. En plus de mon stage rémunéré, je travaille pour le photographe-vidéaste de Hailey.

— Ouais, d'accord. Et donc, tu t'estimes prête à payer toutes tes factures ?

— J'ai calculé, acquiescé-je. Je gagne assez.

Elle s'esclaffe encore. Je rêve de lui arracher sa queue de cheval décolorée. J'en ai marre de passer pour une idiote.

— L'argent, ça se récolte et ça se perd aussitôt. Ne sois pas si bête. Tu penses qu'un misérable salaire d'étudiante te construira une situation stable ?

— Je suis pas une gamine. Je peux me gérer toute seule.

Je plante mes ongles dans le sable et continue d'une voix âcre :

— En quoi ça te dérange ? Tu m'as délaissée sur plein d'autres sujets. Ce ne serait qu'un de plus...

— Je t'ai élevée, corrige ma mère.

— Mais t'as pas eu le comportement d'un parent.

Offusquée, elle recule son visage de son écran pour scruter mon image assombrie par la nuit. Son silence écrase le haut de mon corps contre la cabane.

— C'est à ton père que tu devrais dire ça, siffle-t-elle.

Mes yeux brûlent. Elle fuit. Elle refuse de reconnaître qu'elle n'a pas été exemplaire.

— Pourquoi tu ramènes tout à lui ?

— Parce que je t'ai donné tout ce que j'avais en ma possession et que c'est à moi que tu en veux.

Je secoue la tête.

— Tu ne m'as pas offert le plus important, maman.

Inconsciemment, je reprends mes croquis dans le sable. Je me mets à tracer les contours d'une famille : une mère, un père et leur petite fille.

Last WoundsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant