CHAPITRE 37

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ALESSIO

Les lauriers blancs me cachent. Je rabats ma capuche et remonte la fermeture de ma veste jusqu'au menton. Je les attends. Les minutes se transforment en une éternité. Je plie et déplie mes doigts pour m'occuper et prends de petites inspirations afin de stabiliser mon cœur.

Ce que je suis en train de faire est interdit et les éléments semblent vouloir se liguer contre moi pour me punir ; un vent frais érafle mes joues et des nuages plus sombres que la nuit menacent ma présence devant l'immeuble de Roxane. Les orages ne sont pas fréquents à l'automne, mais je devine déjà l'odeur de ma peau carbonisée par une décharge électrique.

Ça ne sent pas bon.

Tout va s'effondrer. Ça sent la mort de l'esprit, la fin de mon bonheur et le caoutchouc chaud. Des pneus frottent le bitume. Une voiture. Elle arrive par la gauche. Je m'accroupis derrière la jardinière en terre cuite.

C'est Loric. Sa Mercedes s'écarte vers le trottoir. Ses vitres teintées m'empêchent de voir l'intérieur. Pourquoi est-elle aussi longtemps à l'arrêt ? Mon ventre gargouille. Le moteur cesse de tourner et la portière s'ouvre. La main de ma meilleure amie reste sur la poignée, son bras tendu en arrière. Elle hésite. Quelque chose la retient. Lui ? Soudain, elle quitte son siège pour accéder à sa résidence. Sa robe défie la brise. Elle est bien trop belle pour un simple rendez-vous. Ne pas faire de bruit. Surtout ne pas faire de bruit. Roxane traverse le ponton et fouille dans son sac. Un claquement attire de nouveau mon attention sur la chaussée. Loric a refermé sa portière. Il affiche un air chamboulé sous la lumière orangée du lampadaire. Il s'avance vers elle. Il va vite.

Je ne parviens pas à détourner les yeux. Il la prend par le bras, la retourne et superpose son visage au sien tandis qu'une boule de stress se forme dans mon estomac. Un poison coule dans mes veines. Ses lèvres de beau parleur emprisonnent les siennes. Et je meurs.

— Ne pars plus jamais sans dire au revoir.

Profiteur ! Manipulateur !

La douleur de mon poignet se réveille. J'alterne entre couvrir mes oreilles et gratter l'asphalte. Mes ongles s'émiettent. Mon cri intérieur déchire ce qu'il y a encore de bon en moi.

Menteuse ! Malhonnête !

Qu'ai-je fait pour que tu me trahisses ?

Mon cœur est criblé de palpitations intenses. Mes côtes s'ébranlent. Je tente de me relever pour faire circuler le sang dans mes jambes, mais je trébuche. Mon pied s'écrase sur une canette vide. Je redescends aussitôt. Un fracas d'ailes retentit. Le groupe de moineaux qui s'étaient assoupis dans un arbre s'en va vers un nouveau refuge.

— Ouah ! J'ai eu peur.

Je pince ma gorge.

— Ils ont dû apercevoir un prédateur.

L'entendre la rassurer me donne envie de lui flanquer mon poing dans la figure. C'est tout ce qu'il mérite.

— Tu peux partir, maintenant. Bonne nuit.

Loric opère un demi-tour. Ses semelles résonnent sur le ponton. Je plante mes coudes dans mes flancs pour me recroqueviller. Il monte dans sa voiture et déserte la rue. Je m'autorise à souffler, puis à jeter un œil en arrière. Roxane a disparu, elle aussi. La lumière allumée dans le hall me signifie qu'elle est entrée dans l'immeuble.

Je me casse de Sainte-Maxime avec des larmes figées et le cœur à jamais gelé. Le mistral me hurle dessus. La mer ricane. Sept kilomètres avalés. Il m'en reste cinq jusqu'à Saint-Tropez. Cinq comme le nombre de voitures qui me klaxonnent alors que je déambule sur le ruban noir de la route. Mes pensées sont tavelées de tristesse et de colère. Je ne sais plus où finit la réalité et où commence la terreur. La sueur rampe sur mon dos. Je me demande si je ne suis pas en train de me dissoudre dans l'obscurité.

Elle a répondu à son baiser comme une camée. Ce n'est pas la première fois qu'ils s'embrassent. Elle avait les doigts noués sur sa nuque, un point d'ancrage sur lequel – j'en suis certain – elle s'est déjà accrochée. J'avais raison. Elle me ment. Je ne lui pardonnerai pas. Roxane n'a aucune idée du mal qu'elle m'affecte. Elle ne saura jamais que mon moral est en train de s'éteindre depuis qu'elle s'efface de ma vie. Elle est égoïste. Si je ne me calme pas très vite, j'aurai toujours envie de la détruire au petit matin. Je risque de semer la pagaille partout où je passe et son quotidien est un chemin où j'ai encore l'habitude de stagner. Je serai capable de casser son monde, de mener l'apocalypse. Dès demain, je ne serai plus que ruines. Rien qu'un spectre hanté et fissuré, comme les ampoules sur mes talons.

La nuit est plus claire sur les hauteurs de ma maison. J'escalade le portail électrique et me pétrifie devant notre cour vide.

Où est le 4x4 de papa ?

Je me frotte les yeux, pensant que la fatigue me joue des tours. C'est quoi cette merde ? J'ai sauté par ma fenêtre à 21:30. J'entendais mon père ronfler depuis sa chambre. Sa voiture était ici. Je l'ai contournée.

Pourquoi elle n'y figure pas ?

Un halo blanc illumine le sentier que j'ai emprunté et qui mène jusqu'à notre impasse. Les graviers crissent sous les pneus d'un gros véhicule.

C'est lui !

Je fonce à l'intérieur. Mambo pousse des aboiements effrayés. Mon père entre dans la cour. Je ramasse mon chien, gravis les marches quatre à quatre jusqu'à ma chambre et referme la fenêtre.

Que se passe-t-il ? Pourquoi a-t-il quitté le domicile ? Que faisait-il dehors ? Est-ce qu'il a découvert que je n'étais plus là ? Impossible, il aurait forcément lancé un avis de recherche. Dissimulé sous mes draps, j'écoute la porte de la maison bâiller. Le parquet de l'escalier grince sous ses pas légers, presque trop discrets. Je bloque l'air dans mes poumons. Dans une lenteur exaspérante, il entre. Je n'ose pas ouvrir les yeux. Mambo se tortille contre mon torse et je tiens son museau pour qu'il se taise.

Une, deux, trois, quatre secondes. La respiration de mon père est à peine perceptible. Et puis... plus rien. Il se retire sans un mot. Je pousse un long soupir et devine au clic au bout du couloir qu'il est entré dans sa chambre.

— Putain...

C'est trop d'émotions pour moi. Je relâche mon bouledogue et entreprends de me déshabiller alors qu'il se couche dans son panier, vexé. Il s'en remettra. Peut-être pas moi. Je n'ai plus de force. Je suis fatigué qu'on me prenne pour un con. Je nageais dans la trahison et maintenant, dans l'incompréhension.

Je ne suis pas le seul à avoir fait le mur cette nuit.

Last WoundsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant