CHAPITRE 45

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ALESSIO

— Tu te sens légitime d'être aimé ? continue ma psychologue après avoir coché une nouvelle case de son questionnaire.

Le dos courbé et le regard cloué sur un petit garçon qui s'amuse dans le parc, je médite. J'ai passé toute ma vie à espérer que l'on m'adresse les mêmes messages que j'envoie, la même affection que je donne, pour finalement me retrouver relégué au second plan. Je n'ai pas la chance de prétendre à ma place sur un piédestal. Pourquoi ai-je grandi en m'imaginant devenir un roi aux yeux de quelqu'un ? Je ne suis qu'un navire sans capitaine, remorqué par des vents contraires.

— Non.

Alexandra tourne la page.

— Tu as tendance à te sentir trahi ?

— Oui.

— Tu as des crises d'angoisse ?

— Aussi, admis-je.

— Qui se multiplient de semaine en semaine ?

— Oui.

— D'accord, note-t-elle. Tu as eu des troubles alimentaires, il y a peu ?

Mes nerfs tressautent.

— Une fois ou deux.

Ce n'est pas ainsi que j'aime travailler. J'ai mis du temps à m'ouvrir à ces consultations, mais maintenant, je préfère dialoguer pour donner un véritable sens à mes maux. Alexandra me soutire des réponses auxquelles je n'ai pas le droit de réfléchir, ou très peu, et je n'en saisis pas le but.

— Tu as déjà songé au suicide ?

— Je veux pas mourir.

Mon ton est sec. Elle lève les yeux de son document pour me sonder. Le reflet d'une voiture fournit de l'éclat à sa peau diaphane.

— C'est bien, au contraire, tente-t-elle de me rassurer. Pourquoi t'énerves-tu ?

— Parce que je n'ai plus que ça, ces derniers temps. De la colère.

Je pétris mes mains pour les détendre, puis détaille dans un soupir :

— On me pousse à bout. Je veux vivre, Alexandra, bien sûr que je le veux ! Mais mes émotions sont en mauvaise santé. Et je ne parle même pas de mon cœur.

— Tu n'acceptes pas ton diagnostic, conclut-elle avec douceur.

— J'y arrive pas.

— Parce que le changement te décourage.

Elle pose sa pochette sur la petite table, à côté du vase.

— C'est ce qui se produit, enchaîne-t-elle en prenant ses doigts pour compter. En cinq mois, tu as quitté le lycée, tu as eu un accident à moto, tu as su que tu avais une pathologie cardiaque, tu as arrêté la danse et tu as été l'objet d'un éloignement amical. Tu ne penses pas que ça fait beaucoup ?

— Si.

— Tu es épuisé. Pour pouvoir combattre le changement, il te faut du répit. Tu ne peux pas te poser et contempler ton reflet dans une rivière agitée. La clarté n'émerge que si le courant se calme. Apprends à respirer.

Je le voudrais bien, mais l'oxygène se cristallise en flocons affûtés. Ma voix se réduit en charpie.

— J'ai fait une bêtise.

À ces mots, Alexandra s'enfonce dans le dossier du canapé. Elle recommence sa coiffure à l'aide d'un crayon de couleur jaune et récupère son carnet sur la table basse.

Last WoundsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant