CHAPITRE 30

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Mon nez s'approchait avec la plus grande des prudences de la boisson qui se tenait sur la table, devant moi.

Au premier abord, on aurait pu songer à une banale tasse de tisane. Mais l'odeur piquante et alcoolisée qui s'en dégageait me faisait plus penser à un tord-boyaux qui allait me faire vriller le cerveau à l'instant même où la première gorgée allait être avalée. Tous mes radars étaient en alerte maximale. Cette mixture était pour moi synonyme d'un mal de crâne carabiné avec en option, perte de mémoire et de contrôle.

—C'est du Fernet, m'expliqua Miguel, une boisson traditionnelle. Tu connais ?

—Non. Y a quoi dedans ?

L'air espiègle qu'il venait d'afficher me conforta dans l'idée qu'un marteau-piqueur allait bel et bien élire domicile dans ma petite tête demain matin, si l'envie débile d'y tremper les lèvres me prenait.

—C'est composé essentiellement d'herbes. Rhubarbe, cardamome, camomille. Enfin entre autre.

J'arquai un sourcil.

—Et du soda, précisa-t-il.

—Mais encore ?

—Y a eu une macération dans de la liqueur de raisin.

Cette fois-ci, mes deux sourcils s'arc-boutèrent.

—Et ?

—Ça a vieilli en fûts quelques années, conclut-il fièrement en avalant une gorgée.

Je le regardai faire, dubitative, dans l'espoir de lire sur son visage le moindre signe trahissant le degré de souffrance qu'allait m'infliger ce Fernet si je lui ouvrais les portes de mon œsophage.

Rien, que dalle.

Même pas une micro grimace.

Deux hypothèses s'offraient à moi.

Soit il avait une résistance à l'alcool que je ne soupçonnais pas, soit le goût sucré du soda l'emportait sur ce combustible hautement dangereux pour ma petite personne. Les deux probabilités ne me rassuraient pas le moins du monde.

Ça puait la gueule de bois à des kilomètres.

—Goûte !

—Je sais pas trop...

—Elle veut un sirop de fraise, la fillette ? lâcha subitement monsieur queue-de-cheval en face de moi, d'une voix cynique.

Je le dévisageai, abasourdie.

Depuis quand le tatoué parlait une langue autre que l'espagnol ?

Piquée au vif, je lui lançai un regard noir qui, on n'allait pas se mentir, ne l'impressionna pas pour deux sous.

—La fillette elle t'emmerde !

Mon amour propre en ayant pris un sacré coup, je m'empressai d'attraper le verre à ma disposition et d'en avaler une bonne lampée.

Bien mal m'en avait pris.

Je regrettai aussitôt mon impulsivité.

Celle concernant ma misérable dignité qui venait de s'évaporer comme neige au soleil sous les regards moqueurs de mes deux acolytes, lorsque que le liquide tortueux agressa ma gorge m'obligeant à tousser comme la pire des pestiférées.

—T'inquiète, Sara, s'esclaffa Miguel, hilare. La première gorgée est toujours la plus difficile à passer.

—Alors sache qu'à compter de maintenant, je te hais ! crachai-je à son intention, vexée.

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