J'arrive dans la basse-cour du lycée : à gauche, les dindes qui gloussent en remuant leurs petites ailes devant elles. Leurs jupes trop courtes et leurs crop-tops les transforment en... quelque chose de correct. À droite, les porcs qui regardent les dindes en grognant et en louchant sur leur arrière-train. Ceux-là ont l'air d'être complètement largués quand on leur parle, bien que je ne me sois jamais essayée à la tâche. Au milieu, les suricates, leurs oreilles tendues et leur cou dressé qui cherchent du regard une personne. Moi.
Un des porcs vient à ma rencontre. Ah oui, le gars d'hier. Comment il s'appelle déjà ? Je regarde discrètement son sac pour discerner un nom sur son carnet de liaison. Pierre Leduc.
- Hey, salut princesse !
- « Princesse » ? Je te demande pardon ?
Son faciès affiche un air surpris.
- Ben, oui, « princesse ». Je t'ai dis « hey, salut princesse » au cas où t'aurais pas entendu.
Mais de quel droit il ose me parler sur ce ton ?
- Et moi, je t'ai dit « princesse ? Je te demande pardon ? » au cas où t'aurais les oreilles remplies de cérumen !
- De céru--
- Oui, la pâte jaune collante qui traine au fond de tes orifices auditifs. Oh, mais excuse-moi, c'est vrai, j'avais oublié, t'es trop con pour le savoir.
- Euh, mais, je... je croyais que t'aimais bien ce surnom...
Il commence vraiment à me chauffer, lui.
- Et puis-je te demander où et quand je t'ai autorisé à m'appeler de la sorte ?
- Euh, ben, j-je, je suis sûr que... eum...
Le pauvre, il sue à grosses gouttes. Vite, qu'on lui apporte une serviette !
- Sûr de ?
- Ben, e-euh...
- Au cas où tu aurais oublié ça aussi, on ne se parle jamais. C'est un honneur que je te donne de pouvoir gaspiller mon temps et ma salive ainsi.
Quelques « cheh » et « oooooh » se font entendre, ce qui à pour don de m'agacer plus que de me satisfaire. Je sens la colère monter, mais je donne tout mon possible pour qu'elle n'explose pas. Une foule commence à se masser autour de nous, créant une arène humaine avec quelques protestations des pacifistes de nature. Je reprends la parole après avoir fusillé le public du regard pour apporter le silence.
- Et donc, où penses-tu que j'ai pu dire une chose comme « appelle-moi princesse » ? Je suis très curieuse de savoir, murmuré-je d'une voix mielleuse.
- E-euh, ben, je crois que par messages, tu...
Sa voix s'éteint tandis que je tressaille malgré moi. J'essaye de cacher mon effarement en parlant d'une voix forte pour que les spectateurs entendent.
- Désolée, Pierrounet, je crois que les gens n'ont pas très bien entendu. Répète un peu plus fort, qu'on sache tous ce que tes délicieuses lèvres ont soufflé.
Il déglutit, effaré, peut-être ; mal à l'aise, sûrement. Un petit sourire sadique vient s'étirer sur mes lèvres. Pourtant, un doute s'immisce dans mon esprit et dérange le cours de mon plan parfait. De quoi on a parlé hier ? Je ne sais plus et cela me fait peur. J'ai une chance sur trois pour qu'il m'ait vraiment dit « princesse », de perdre ma réputation et ma popularité avec. Allez, on ne s'emballe pas, restons dans le sûr et le concret.
- Euh, eum... je... j'ai dit que par messages, peut-être...
Tout le monde est soufflé, je mets un petit moment à comprendre pourquoi. Merde, ils doivent penser que j'ai une « liaison » avec lui... Qu'est-ce que j'ai dit déjà ? Tous mes propos me reviennent en pleine face. « Pierrounet », « délicieuses lèvres », « par messages »... Rah, je voulais juste l'énerver ; il me faut un plan B et vite !
Je balaie le public du regard, cherchant de l'inspiration par une personne, un physique, une attitude... Mes yeux tombent sur Tiffany. Je cache tant bien que mal mon rictus de dégoût. Parfait. Autant que cette dinde sert à quelque chose, elle n'est même pas belle en plus. J'attrape d'un geste adroit mon téléphone. Tout le monde se jette dessus, tel un groupe d'animaux affamés devant une belle pièce de nourriture. J'ouvre l'application « messages » et l'onglet de Pierre Leduc apparaît. Je croise les doigts mentalement pour ne pas tomber sur quelque chose de compromettant.
- Alors... Hm-hm... « Tu es très beau »... « Ton torse me fait saliver d'envie »... « Hâte de te revoir »... Non, je ne vois nulle part écrit le mot « princesse ». Hm, Pierre, tu étais à deux doigts d'être qualifié de « tombeur », dommage que ta précipitation t'ai mené à ta perte.
Il sert les poings, ça se voit qu'il a envie de me refaire la gueule, mais figure-toi que moi aussi, mon chou. « Bon plan », me dis-je à moi-même, « en plus il est un peu beau-gosse »...
Je m'approche de lui lentement. Chacun de mes pas semblent sonner le glas de sa mort. Il se décompose au fur et à mesure que j'avance, ce qui n'est pas pour me déplaire. Arrivée près de son oreille, je lui murmure cette phrase :
« Dommage que t'ai des goûts de chiottes, t'aurais pu prendre la version premium et supérieure à Tiffany en me choisissant. »
Je le laisse dans sa décomposition en lui faisant un clin d'oeil, ce qui me vaut un regard noir de la part de son crush.
Hm.
Il fera un bon compost.
Je passe à travers la foule en reine, la scindant en deux telle Moïse et sa Mer Rouge. Chaque pas que je fais semble faire trembler le sol, ce qui est dû au silence assourdissant qui s'abat sur la basse-cour. Les dindes ne gloussent plus, les porcs me regardent avec des yeux ronds et même les « exclus » semblent s'intéresser à moi, ce qui me vaut un petit sourire satisfait. Un seul suricate a le courage de s'avancer.
- C'était grandiose ! me dit Léa d'une voix légèrement tremblante malgré son enthousiasme.
- Je sais.
Et c'est avec style et grandeur que j'entre dans le grand bâtiment du lycée.
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Gouffre.
FanfictionC'est une jeune fille, presque adulte. Elle a une meilleure amie, Léa, et d'autres personnes qui l'adulent. Elle est littéralement la reine du lycée. Sa vie est parfaite. Elle est parfaite. Qu'est-ce qu'il pourrait mal se passer ? Sommaire : - Tease...