Trentième partie.

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Un pas après l'autre, je me dirige lentement vers l'entrée du lycée. Mon visage est dénué d'expression, mon esprit est comme vide. J'ai l'impression de ne plus rien ressentir. Mon regard dans le vague en dit long sur mon état, cependant. Je me force alors à regarder les visages des gens.

La plupart ne me disent rien. Je n'ai pas parlé à grand-monde depuis le début de l'année. Je slalome entre les groupes, les couples et les fumeurs de façon à éviter le plus de conversations possibles. Je n'ai aucune envie de savoir de quoi ils parlent, voire même s'ils parlent de moi.

Surtout s'ils parlent de moi.

Je marche par-dessus la courroie verte qui permet au portail de coulisser. Ça y est.

Première étape passée avec brio. Félicitations.

Comme si mes émotions étaient décuplées, je sens mon coeur déborder de soulagement. J'aurais pu croiser des personnes qui m'auraient fait moultes remarques, voire même L-

Je stoppe instantanément mon monologue intérieur et déglutis. Je ne veux pas y penser.

J'entre dans la basse-cour. Mon regard balaie le grand espace en bitume recouvert de gens avec appréhension. Enfin... Après ce qu'il s'est passé hier, j'entre plutôt dans ce qui me semble maintenant être une cour de récréation... normale. Banale. Terrifiante.

Un endroit où je ne suis plus le seul prédateur.

Je reste un instant figée, ne sachant où me mettre. Où est-ce que je vais ? Pas à mon point de rendez-vous habituel, c'est clair. Au fond, près de l'entrée du bâtiment ? Non, c'est toujours là que se poste Mystérieuse avec son foutu bouquin. Directement dans le hall ? Brr, aucune envie d'avoir des flashbacks de ce terrible souvenir.

Je reste donc en retrait, adossée à un des piliers de l'entrée, les yeux dans le vague et mon sac à la main. Mon cerveau tourne à cent à l'heure. Je ne peux pas rester là, à la vue de tous, comme une proie facile et apeurée.

Parce que c'est ce que je suis devenue. Un animal en bas de la chaîne alimentaire, un lapin entouré de renards. Un putain de lapin terrifié par les regards de ces renards affamés.

Mon esprit se déconnecte de la réalité. Je prends mes mains bandées et tire nerveusement sur le tissu. Mon regard dévie vers mes doigts. La base de mes phalanges commence à être couverte de sang séché. J'appuie machinalement dessus puis grimace. Une douleur inopinée me lance immédiatement.

Je pince le bout de mes doigts de manière pressante, comme si ça allait accélérer ma réflexion.

Soudain, je suis prise d'une idée. Et si j'allais directement en classe ? Je n'aurais à croiser personne et je serais tranquille.

Je fixe la pulpe de mes doigts suspicieusement. Cette coïncidence est vraiment, vraiment étrange...

Je me redresse et attrape mon sac que j'ai laissé tomber dans mes tergiversations. Cette journée n'est peut-être pas si terrible, en fin de compte. Je n'ai juste à parler à personne, et tout ira bien.

Je m'engouffre donc dans la foule.

Je me recroqueville sur moi-même, plus que mal à l'aise face à tous ces potentiels regards. Et si quelqu'un me remarquait ? Et si on m'insultait, et si...

Je sers les poings, m'infligeant un pic acéré de douleur. Très con, mais nécessaire pour remettre mes idées en place. Tout va bien se passer. Je suis presque arrivée au bout de la cour, encore quelque mètres et-

Une apparition me fige dans mon élan. Au point de rendez-vous, à sept mètres de là où je suis, Léa et Pierre discutent. Ils sont là.

Ils sont .

Gouffre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant