Huitième partie.

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Des voix sortent de l'immense salle à manger. J'avance en haut de l'escalier du grand hall, m'appuie sur la barrière, une clope à la main. J'ajuste les plis de mon pantalon et approche la cigarette de mes lèvres. Des bribes me parviennent.

- ... est une... idée, Monsieur. Elle... plutôt chamboulée et... hier soir. J'entendais... n'ai pas osé monter... Je suis...

Je tends l'oreille, me penchant sur la balustrade. La voix de mon père m'est indiscernable, mais celle d'Amélie, claire, me parvient beaucoup mieux.

- Oui, je comprends. Mais est-ce une bonne idée de la... peut-être la ramener au... puisse prendre ses cours et voir ses...

Quoi ? Ils... rectification. Il ne veut pas que j'aille au lycée ? Hors de question.

Je me penche encore plus au-dessus de la barrière, la seule force me retenant étant celle de mes mains.

- Je ne... au lycée... avoir une influence et... mais...

- Ne vous inquiétez pas... Ce ne sont sûrement pas ses camarades qui vont avoir une mauvaise influence sur elle.

Haha, bien dit, Amélie. Hormis ces visites en coup de vent pendant lesquelles on se croise limite seulement dans le couloir, ça fait combien de temps que je n'ai pas vu mon père... trois, quatre mois ? Peut-être cinq ? Il ne sait tellement rien de ma vie que même ma popularité au lycée lui est inconnue. Aucune importance, il ne va pas en croire ses yeux...

Alors que je rumine mes pensées démoniaques, je me penche de plus en plus pour entendre clairement leur conversation. Plus que quelques centimètres... Mais je n'ai pas à me donner cette peine.

Ma main glisse. Mon ventre rencontre violemment la balustrade. Mon souffle se coupe. Je me rattrape. Mon autre main heurte les barreaux de fer. Un gémissement de douleur m'échappe. Je retombe bruyamment sur mes fesses.

Tout ça en l'espace de quelques secondes.

Je me relève. J'entends les pas frénétiques d'Amélie et ceux lourds de mon père. J'opte pour ma pose initiale, à savoir appuyée sur la barrière, après avoir ramassé ma cigarette. J'aperçois Amélie, puis mon père, et j'entends enfin distinctement sa voix.

- Que se passe-t-il ici ?

Il balaie la salle des yeux, et enfin, si je puis dire, les lève vers moi.


Il m'aperçoit.


Son regard traduit de la surprise. Mieux, de la décontenance.


Heh.

Je vais bien m'amuser.


- Salut, papa.


Je ne sais pas ce qui le dérange le plus : ma tenue, ma cigarette ou le fait que je soutienne son regard comme si nous étions d'égal à égal.

Non.

Parce que nous sommes d'égal à égal.

Je baisse discrètement mes yeux vers mes doigts. Putain.

Les blessures se sont rouvertes, le sang commence à perler et ça me fait un mal de chien. J'essuie tant bien que mal ma main sur mon top rouge, priant pour que les traces d'hémoglobine ne se voient pas.

Ah oui. C'est vrai que j'ai changé d'avis pour ma tenue.

J'ai décidé de m'habiller comme je le fais habituellement, même si c'est avec une certaine appréhension que je me retrouve à soutenir le regard de mon paternel.

Gouffre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant