Gouffre.

Neuvième partie.

Je crois que je ne me suis jamais sentie à la fois aussi vide et aussi submergée par les émotions.

À part l'apathie qui s'empare de moi, il n'y a que le stress d'être en retard qui me tord le ventre et compresse ma poitrine à l'idée de retourner au lycée après-demain.

Pas grand-chose en somme.

Qu'est-ce que je vais dire aux autres ?

Je crois que je ne me suis jamais sentie aussi perdue. C'est drôle quand même. La reine du lycée qui se sent toute petite et apeurée.

Non. Je ne dois pas laisser la faiblesse prendre le dessus.

Et puis, pourquoi je me dis ça ? Je sais très bien que de toute manière personne n'osera se confronter à moi, j'aurai juste à leur dire que j'ai eu une emmerde mais que j'ai défoncé le chieur, c'est tout.

Et puis il y a Mystérieuse.

Cette fille est insondable, c'est fou. Je n'arrive pas à la garder sous mon contrôle et ça me crispe de frustration.

Comment va-t-elle réagir lorsqu'elle saura que j'ai été absente, quand je serai revenue ?

J'appréhende. Un peu. Pas parce que sa présence me fait perdre tous mes moyens, ou du moins une partie d'entre eux, mais parce que j'ai l'impression que c'est la seule qui peut me tenir tête.

Et ça m'énerve.

Un goût d'impuissance m'emplit la bouche. Je me lève puis avance vers la fenêtre.

Allume une cigarette.

M'emplit de confort.

Cherche des yeux quelque chose derrière la vitre, comme par réflexe.

Encore cette putain de sensation de déjà-vu.

Je déteste ça.

Je me penche au-dessus de la balustrade, laissant tomber quelques miettes de cendre et de poussière.

Tiens ?

C'est vrai que ça fait au moins deux jours que je n'ai pas écrit dans mon carnet. Autant s'y mettre.

Je sors mon stylo et feuillette les pages, jusqu'à trouver la catégorie que je cherche : "Éléments importants".

Je fouille dans mon esprit pour essayer de me rappeler dans les moindre détails les évènements récents, afin de pouvoir classer les principales idées et de faire un résumé clair et concis. Un peu à la façon d'une fiche de révision.

Malgré tous mes efforts, des éléments m'échappent. Je souffle d'exaspération avant de reprendre ma fouille mentale.

Je ferme les yeux et me visualise pour la neuvième fois les deux derniers jours. La conversation avec Pierre, ok. J'ai noté dans mon agenda la boom de Cérim pour jeudi, faut pas que j'oublie. La disp-- l'altercation courtoise que j'ai eue avec Pierre, ok. Mon plan pour être avec Pierre, ok. Puis la crise, mon père, l'interdiction d'aller au lycée, ok.

Mais j'ai encore oublié quelque chose, c'est sûr. Ou quelqu'un ? Je ne suis plus sûre de rien.

Mes paupières s'entrouvrent et mon regard bascule sur mon téléphone qui vient de vibrer. Putain, c'est pas le moment...

Un mal de tête vient se pointer alors que je relis pour la trente-sixième fois la liste des évènements inscrite sur mon carnet. Pourquoi c'est si compliqué ? Pourquoi, pour une fois, ma mauvaise mémoire ne veut-elle pas arrêter de se mêler à mes souvenirs et de trier aléatoirement ces derniers ?