Vingtième partie.

18 5 6
                                    


Nous attendons la prof de maths devant la salle, plus ou moins patiemment. Je dois avouer que j'ai un peu peur de croiser Pierre, Léa ou Mystérieuse. Évidemment, je ne laisse pas mes émotions transparaître. Je soupire. Comme toujours, Mme Chanleg est en retard. Ça ne m'étonne même plus, mais certains élèves autour de moi arrivent tout de même à être surpris.

Ils sont vraiment très doués.

Un groupe plus bruyant que les autres attire mon attention. Je suis à peine étonnée quand je reconnais les auteures de ce vacarme.

- Genre, elle a fait un coma idyllique !

- Arrête, Cérim, on sait tous que c'était toi la torchée hier.

Elle et sa team de cruches rient comme des bouffonnes. J'ai envie de leur faire ravaler leur hilarité. Qu'est-ce qu'elles peuvent m'énerver ! Au moment où je soupire de désespoir, un autre souffle se fait entendre à côté de moi. Surprise, je tourne la tête et découvre Léa. Mon sang ne fait qu'un tour et je m'apprête à l'insulter vertement, mais son air débile me prend de court.

- Saluuuuut ! Bien dormi ?

Elle a un sourire jusqu'aux oreilles, mais son regard ne trompe pas : il y a quelque chose derrière cette attitude. Je décide de moi aussi jouer le jeu.

- Ouais, ça va. Je suis rentrée vers une heure du mat' chez moi, hier.

- Cool.

Un petit silence gênant s'installe. Je décide de jouer d'une pierre deux coups : briser la glace avec elle et enfoncer la conne hilare en face de moi.

- Tu sais quoi ?

Elle secoue la tête, surprise que je continue la conversation. Elle me répond d'un ton neutre :

- Non, qu'est-ce qu'il y a ?

- Cérim ne m'a même pas reconnue à sa fête.

Cette dernière se retourne vivement. J'entends un soupir de Léa, sûrement preuve de son agacement envers moi. Je n'en ai cure. Je verrouille le regard de mon hôte de la veille dans le mien.

Elle semble étonnée qu'on l'appelle, mais une émotion plus forte se cache au fond de ses pupilles... Je n'ai pas besoin de creuser pour savoir, mes années d'expériences en la matière font le travail à ma place : ses yeux brillent d'éclats de peur.

Prévisible.

- C'est vrai qu'elle s'amusait à tripoter Flame en plein milieu de la piste de danse au lieu d'accueillir ses invités ! Et vous savez ce qu'elle a sorti ?

Ses amies font "non" de la tête.

- Écoute, c'est pas la peine, F--

Tellement prévisible que ça en devient ennuyeux. Je continue tout de même jusqu'au bout. C'est toujours si satisfaisant d'accomplir ce que tu as commencé, n'est-ce pas ?

- Elle m'a dit : "Sorry, t'es qui déjà ?". Excuse-moi, mais y'a mieux comme première impression.

Ce n'est sûrement pas la phrase exacte. Mes souvenirs commencent un peu à devenir flous à propos de ce qu'il s'est passé hier, avant cette foutue deuxième bouteille. De toute façon, personne ne pourra venir témoigner. Je termine cette conversation en me détournant de cette pouffe, la laissant totalement décontenancée. Je croise le regard mauvais de Léa, mais je m'en fous. Qu'est-ce qu'elle pourrait me faire, de toutes manières ?

Je manque de me stopper dans mon mouvement quand je vois Pierre sortir de la cage d'escaliers. Une sueur froide coule le long de mon dos. Est-ce que je fais comme si on était en couple ? Quel comportement dois-je feindre ? Dois-je l'ignorer, ou est-ce qu'une intimité s'est installée entre nous ?

Sans aucun indice sur l'attitude à prendre, j'adopte un visage neutre par défaut. Je le fixe d'une manière très insistante alors qu'il arrive à ma hauteur, comme pour lui signifier que j'ai besoin de lui pour m'éclairer. Heureusement - ou malheureusement - il ne semble esquisser aucun geste particulier vers moi. Je le salue d'un hochement de tête. Il fait de même.

Je retiens un soupir de soulagement. Enfin une chose sur laquelle j'ai un certain contrôle. Du coin de l'œil, je remarque un papier passer de la main de mon ancien cavalier à celle de mon ex-amie. Je m'apprête à les questionner, mais me ravise. Exposer cet échange aux yeux de tous ne fera que m'enfoncer. Je note mentalement de les surveiller, en même temps d'esquisser un mouvement vers mon sac pour attraper mon carnet.

Cependant, après ce qu'il me semble une éternité, Mme Chanleg arrive. Je réprime un grognement, agacée ; je vais devoir noter ça plus tard.

Je vois Mystérieuse entrer dans la classe, mais avant que je n'ai le temps de prononcer une remarque moqueuse à propos de ses vêtements, Léa m'entraîne dans la foule de façon à ne pas se faire remarquer.

- Midi, derrière le bâtiment B, seule.

Après un court instant de surprise, je réponds d'un air sérieux :

- Entendu.

Il ne faut pas que ça se sache, surtout si les gens venaient à remarquer cette tension plus qu'étrange entre Léa et m--

Je croise un regard noisette parsemé d'or. La bouche rosée de mon ennemie jurée fait la moue. Elle a tout entendu.

Eh merde.

Gouffre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant