Dixième partie.

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Je plonge sur mon lit en poussant un soupir de satisfaction. Enfin fini.

Ma poubelle déborde d'objets en tous genres, allant des vêtements aux bibelots sans intérêt. Mon bureau est propre ; mon carnet trône au-dessus, sur une étagère, en compagnie des quelques manuels que le lycée nous a fournis. Toute la pièce rayonne de pureté, on dirait qu'une fée vient de l'enchanter. Je ris légèrement en me passant la main sur le visage. Mais qu'est-ce que je raconte...

Cette opération de nettoyage m'a lessivée. Je me redresse en position assise sur mon lit. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire maintenant ? Je suis enfermée dans cette maison sans possibilité de communication avec l'extérieur. Peut-être que j'exagère, mais il n'empêche que ces deux jours vont être longs.

Je retombe lourdement sur mon drap, en soupirant de fatigue cette fois. Ça fait longtemps que je n'ai pas été seule comme ça. Mes yeux fixent le vide qui se trouve entre eux et le plafond blanc. Doucement mais sûrement, dans cette ambiance calme et apaisante, mes questions pointent le bout de leur nez. Les souvenirs de ma crise d'hier me reviennent en mémoire.

Connasse.

Qu'est-ce que mon père pense de moi ?

De quoi ai-je bien pu rêver pour que ça me mette dans un tel état ?

J'arrête pas de me mettre en colère.

Amélie lui en a parlé, mais à quel point ?

...

En réalité...

Je ferme les yeux avec force. Je n'arrive pas à l'admettre.

Cette phrase...

"Je ne suis pas si invulnérable que ça."
Je roule sur mon flanc gauche et attrape machinalement la couette dans ma main. Mes pupilles détaillent les plis et les ombres.

"Je ne suis pas si invulnérable."

Je fronce les sourcils et me relève. Je bascule mes jambes sur le côté du lit et pose mes pieds au sol. En deux pas, j'arrive à mon bureau et prend mon carnet. Je caresse la couverture en tissu et l'ouvre à une page vierge à la suite. J'attrape un stylo noir. Lisse la feuille. Écris.

"Je ne suis pas invulnérable."

Je contemple cette phrase. Les syllabes qui la forment et s'allient d'une harmonieuse manière. Mon écriture fine et serrée, que j'ai pris soin de travailler pendant des années. Il faut être parfait sur tous les aspects. Je suis de mon doigt les boucles qui forment cette simple ligne. Elle sonne amer dans la bouche, mais a tout de même un arrière-goût sucré, rassurant. C'est une phrase qu'on avale d'une bouchée. On ne la savoure pas, on n'en a pas envie. Mais elle est quand même là.

Finalement, je la relis plusieurs fois. J'ai cette impression de ne pas tout comprendre, que les mots perdent leur sens au fur et à mesure qu'ils intègrent mon esprit.

Soudain, je réalise leur signification. Leur méprise.

- Tch.

Je raye sans pitié ces mots erronés et referme avec violence le carnet. Je le jette sur le bureau et serre les dents. Qu'est-ce qu'il me prend ? Je ne suis pas faible. Je n'ai pas besoin d'aide. Si je fais un seul faux pas, les autres me feront tomber. Mais ça n'arrivera pas, car je ne suis pas faible.

Mon regard tombe sur mes phalanges blessées. Il s'assombrit un peu plus.

Cette crise était une erreur. Appeler mon père était une erreur. Cette phrase était une erreur.

Je m'assois sur la chaise et caresse la peau de mes doigts. Une vague progressive de douleur traverse ma main. Mes yeux se plissent alors que je retiens un gémissement. Le choc de cette dernière sur les barreaux en fer de la balustrade n'a rien arrangé. Je continue de toucher la blessure et soudain, du sang perle sur mes phalanges.

Gouffre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant