chapitre 2: Un regard en arrière

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J'écoulais des jours paisibles dans ma petite ferme. J'habitais un lieu isolé. Je ne cherchais pas la compagnie de mes semblables ni d'aucune sorte par ailleurs. Je n'en ressentais nullement le besoin.
J'habitais à l'extrémité Est des plaines du Dorwinion, au Nord de la Mer de Rhun entre la grande forêt de l'Est et l'endroit où se jettent les rivières Carnen et Celduin.
Je cultivais la vigne. Je produisais mon propre vin. Il m'arrivait de l'exporter pour la vente. Tout était fait à petite échelle. Je ne cherchais pas le profit. Je vendais uniquement le surplus.
Le vin produit dans la région n'était connu et apprécié que des locaux.
Les vendanges étaient faites le plus tardivement possible. Cela permettait au raisin de se charger, au maximum, en sucre et de donner un vin très liquoreux.

Les hivers étaient aussi rudes que les étés. La neige pouvait tomber en couche épaisse.
Les étés pouvaient ruiner les cultures car il faisait très chaud. Les températures étaient caniculaires et l'air pouvait vite devenir étouffant.
L'arrosage était primordial. C'était une tâche ingrate!
J'adorais le printemps. Cela signifiait le renouveau, la naissance des nouveaux bourgeons, une végétation verdoyante et le retour des animaux.

La superficie de mes terres était de plusieurs acres. Mise à part le raisin, je cultivais divers fruits et légumes de saison pour ma consommation personnelle. Je détenais aussi quelques têtes de bétail: chevaux, bovins, cochons et même quatre brebis dont une qui était pleine, prête à mettre bas.
Il m'arrivait de faire du troc afin d'obtenir des articles rares, comme: le satin, du fil, de la porcelaine...des produits qu'il m'était impossible de produire.

Je rémunérais un couple: Nell et son époux Alfred. Ils m'aidaient sur la propriété car seule, il m'était impossible de réaliser toute les tâches.
La famille de Nell était très pauvre. Elle et son mari acceptaient toutes sortes de petits travaux afin de subvenir aux besoins de leurs neuf enfants. C'était des personnes méritantes, je les estimais beaucoup. Ils ne rechignaient devant rien; et ça, c'était tout à leur honneur. Je les rémunérais en conséquence toutes les semaines. Je pouvais dire que c'était mes employés mais je ne les considérais pas comme tels. Une complicité s'était installée entre nous. Nell et moi étions devenue très proche. Je m'étais attachée à eux, un lien s'était créé.

Tous m'appelaient Mely. Pourquoi m'appelaient-ils ainsi?
La raison était très simple. Le petit dernier des enfants de Nell, Jonas, âgé de trois ans, me surnomma ainsi car mon prénom était trop difficile et trop long pour être prononcer par un si jeune enfant. J'acceptais bon gré mal gré ce petit sobriquet.
Au fil du temps, Ils étaient devenus mes plus proches amis. Pour être honnête, je les considérais comme des membres de ma famille. Cela n'était pas difficile car le seul membre de ma famille connu et encore vivant, c'était moi.
Je vivais ma vie à travers ses yeux et ses paroles. Je voyais le monde par le biais de la description qu'elle pouvait m'en faire. J'avais toujours cette impression étrange d'être passée à côté de quelque chose d'important. Je n'avais personne avec qui partager mon quotidien. J'étais célibataire sans enfants, je n'avais pas une position enviable aux yeux des autres femmes des villages environnants car je n'avais pas de mari pour m'entretenir et je n'en voulais pas! J'étais heureuse comme cela. Ça me convenait très bien. Je ne souhaitais pas vivre sous la houlette d'un mâle en manque d'autorité. J'étais très bien toute seule! La plupart des hommes qui avait osé s'aventurer à me faire la cour ne s'intéressait qu'à mes biens.
Plus je les repoussais plus les rumeurs couraient à mon sujet. J'étais une sorcière; j'avais pactisé avec les démons et je n'appréciais pas les hommes. Ce n'était que des foutaises!

Ma mère m'avait inculqué une certaine éducation: la lecture, les mathématiques, les travaux de coutures, celui du bois et de la vigne, l'herboristerie et la médecine par les plantes etc... Lorsque j'étais jeune, des gens se déplaçaient de très loin pour se faire soigner par ma mère. Elle savait guérir tous les maux. Les malades la payaient selon leurs moyens. Cela pouvait être de la monnaie sonnante et trébuchante, comme des conserves, des légumes, du miel, de la viande séchée; parfois, il arrivait qu'elle ne demandait aucune rémunération en contrepartie car certains patients étaient trop pauvres. Un jour, je lui ai demandée pourquoi elle avait laissé des paysans partir sans payer. Elle m avait répondu que leurs sourires et leurs gratitudes valaient bien plus que mille écus. Elle ajouta qu'un jour, j'aurais besoin de leurs services et je n'aurais peut-être rien à leur donner en retour.
Ma mère était une personne pleine de bonté et de générosité. Elle ne voyait pas le mal chez les Hommes.
J'aurais tant aimé lui dire qu'elle se trompait! Le mal existait et était présent en chacun de nous. Nous étions tous libres de le laisser surgir hors de notre corps ou de le réfréner au plus profond de notre être.
Amère? Écœurée? Oui, je l'étais devenue car seul le diable incarné avait eu la volonté de me faire subir ce que j'ai vécu.
Quant à mon paternel, je ne me souvenais pas de lui. Il nous avait quitté lorsque j'étais encore bébé. Du jour au lendemain, il était parti et n'était plus revenu. Une personne que je n'ai pas connu ne pouvait me manquer.
Ma mère devait accomplir toutes les tâches domestiques. Elle avait appris à se débrouiller seule.
L'absence d'un père se faisait-elle ressentir? Je n'en avais aucune idée. Je ne m'étais jamais penchée sur la question et réellement je n'avais guère le temps de méditer là dessus.

J'aimais la compagnie de mon amie Nell. Elle était simple, ordinaire, sans prétention. Elle avait toujours des anecdotes à me raconter. Je ne m'en lassais jamais. Je l'appréciais énormément. Son mari était plus distant. Était-il asociale? Non, il était simplement timide, enfin je le croyais.
Plus tard, j'apprenais à mes dépens qu'il était ni l'un ni l'autre.
Nous avions nos habitudes et nos rituels. Nous nous donnions rendez-vous à la maison pour parler autour d'un café avant d'aborder les tâches agricoles. Ces moments, je les attendais avec impatience.

POURQUOI NE VOIT-IL PAS MON COEUR SAIGNER ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant