S'il est parti de Ruhne en droite ligne vers Kaspaz, impossible de poursuivre ainsi. Partout où se posent ses yeux, des camps de soldats se font face. Ruhniens à ses pieds, kaspaziens sur l'autre rive du fleuve. Et, liant l'un et l'autre à une lointaine époque, un pont aujourd'hui à moitié en ruines. Il s'en doute, gardée comme l'est cette antique voie, seul accès restant de l'un à l'autre de leurs deux pays, il ne pourra pas l'emprunter pour continuer son voyage.
Du haut de sa falaise, ses vêtements aussi jaunes que le sable et les roches qui l'entourent encore, il s'assoit pour réfléchir, les yeux clos. Il cherche à se remémorer les cartes que sa mère lui a fait étudier, chassant la disparue et la souffrance qui l'accompagne de son cœur et de son esprit pour ne plus se concentrer que sur les rouleaux qu'elle ouvrait devant lui, et sur lesquels il passait des heures à rêver se battre aux côtés de ce père qu'il admirait tant. De ce qu'il se souvient, un autre pont existe. Plus petit, plus fragile. Inadapté pour les mouvements de troupes. Et donc, avec de la chance, épargné par les combats. Aussi, est-ce vers lui qu'il se dirige, reculant un peu de la crête pour ne pas être repéré.
Et bientôt, il est là, en contrebas. Et, comme il l'espérait, ce qui n'est plus qu'un pont de cordes au-dessus des flots n'est pas gardé.
Notant les sentiers qu'il lui semble apercevoir à travers la dense végétation, et qu'il lui faudra emprunter pour rejoindre la cité qu'il distingue au-delà de la mer verte, il cherche où poser ses pieds, entamant sa descente vers la plaine, alors que le soleil entame la sienne vers l'horizon. A mesure qu'il désescalade le mur de pierres, de nouveaux parfums montent jusqu'à ses narines. Et s'il ne peut mettre de noms sur tous, il ne fait aucun doute pour lui que ces douces senteurs sont végétales.
Il pose le pied dans l'herbe, alors que le disque chaud part se cacher derrière les arbres les plus hauts et les plus feuillus que le jeune homme n'a jamais vu. Mais s'il aimerait avoir le temps de s'en émerveiller, de les comparer à ceux de son jardin à Ruhne, il ne prend que le temps d'inspirer à plein poumons cet air humide avec lequel il s'étouffe presque, sa gorge s'étant habituée au climat plus chaud et sec du désert.
Devant le pont, il grimace. Les cordes sont fines, usées, et même verdies par le fleuve. Mais trouver un autre point de passage lui prendrait des heures, et, si près du front, il ne veut pas prendre le risque de passer la nuit, d'autant que la lumière décline à vue d'œil. S'assurant que sa besace ne le déséquilibrera pas, il s'avance sur la corde servant de chemin, ses mains serrant à s'en faire mal celles permettant de se stabiliser.
Si ses premiers pas sont plutôt assurés, le pont tanguant à peine, il n'en est pas de même pour les suivants. La corde, humide, est glissante sous ses pieds, poisseuse sous ses mains. Le pont plie sous son poids pourtant léger, le rapprochant de l'eau à chaque nouveau pas. Cherchant à l'aveugle où poser son pied, il garde le regard fixé sur l'autre rive, sur son objectif, alors que le fleuve lui mouille les chevilles.
Il n'est plus qu'à quelques pas de la terre ferme, quand un groupe de soldats quitte les fourrés, le menaçant, lances à la main.
_ Fais demi-tour ! Un pas de plus, et on coupe le pont !
Sous les yeux terrorisés de Sidon, l'un d'eux sort une épée qu'il élève au-dessus des cordes auxquelles il s'accroche.
_ Je... Je suis Sidon, Prince de Ruhne. » dit-il assez fort pour couvrir le bruit des flots, espérant que sa voix n'alertera pas les soldats de son royaume. « Je viens voir votre Roi. J'ai une proposition à lui faire.
_ Balivernes ! Un Prince viendrait pas sans escorte ! Et il passerait pas par là ! Encore moins à pied !
La peur monte en lui, pourtant, de voir que celui qui semble à la tête du groupe n'ordonne pas de sectionner les cordes, alors que lui-même ne fait pas mine de reculer, le conforte dans l'idée qu'il a retenu son attention.
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La Vengeance d'un Oméga [Terminée]
RomanceAprès avoir vu sa mère être assassinée sous ses yeux, Sidon, le Prince de Ruhne, décide de fuir son royaume et de chercher de l'aide auprès de Keril, le Roi de Kaspaz, avec lequel son pays est en guerre depuis plus de vingt ans. Omégaverse médiévale