Chapitre 29 : L'assaut du Palais

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S'ils progressent sans le moindre obstacle, Sidon retient ses haut-le-cœur en fixant le palais au bout de l'avenue. Le spectacle de cette rue autrefois marchande où s'amoncellent à présent cadavres d'hommes décharnés et d'animaux mutilés et putrides lui donne la nausée. Du coin de l'œil, il perçoit des mouvements. Des volets s'entrouvrent sur leur passage et se referment sans attendre. Derrière les palissades qui ferment les échoppes, des ombres s'agitent. Tout est si sale et si vide qu'il ne reconnaît qu'avec peine les rues dans lesquelles il s'est si souvent caché pour relever les défis d'évasion du palais que lui lançait sa mère.

Derrière lui, il entend les murmures horrifiés et dégoûtés des soldats. Qui le leur reprocherait, alors que sa cité avait la réputation d'être une merveille ? Pour échapper à la puanteur qui hante Ruhne, il remet son chèche en place. Tant pis pour le souffle de Keril sur sa gorge. De toute façon, son époux a lui-même remonté le tissu devant son visage, à l'instar de tous ceux qui les entourent.

Jamais la remontée de la grande rue ne lui a paru aussi longue. Il ne peut s'empêcher de noter, à mesure qu'ils avancent, que les cadavres sont moins nombreux. Cependant, si les premiers, issus du bas-peuple, sont morts de faim, il est clair que les plus riches ont été exécutés, les gorges tranchées et les vêtements couverts de sang ne laissant aucun doute sur le sujet.

Leur objectif n'est plus très loin et Keril est d'autant plus tendu qu'aucun cadavre ne porte une tenue de soldat. Or Sidon leur a parlé de gardes entraînés et bien nourris protégeant la ville et le palais. Où se cachent-ils ? Ont-ils été emprisonnés pour avoir défendu le peuple ? Il en doute. Günter les aurait plus certainement exposés. Alors ont-ils participé à ce massacre ? Il comprend mieux cette histoire d'imposteur et ce camp entier, loyal à son monarque légitime et volontaire pour attaquer sa propre cité.

Pourtant, rien de ce qu'il a sous les yeux ne le surprend. Il se souvient du jour où il a fait face à Günter sur le champ de bataille. Il était clair qu'au-delà de l'ascendant qu'avaient ses hommes dans cet affrontement, il prenait un plaisir sadique à étriper ses ennemis. Un tel homme ne devrait jamais gouverner. Au moins le peuple ruhnien ne lui reprochera-t-il pas son intervention, bien que tardive. Et le retour de Sidon qui tente de rester impassible dans ses bras, sera d'autant plus salué.

Mais il n'est pas certain que ce dernier point lui plaise.

Ils sont enfin en bas des escaliers menant au palais. Malgré le soleil qui s'élève et le ciel qui rosit, rien ne bouge dans la ville, ni devant eux. Pour ne pas être pris à revers, Keril envoie une partie de son armée faire le tour de la ville, une autre restera ici et lui montera à l'assaut du palais.

_ Si possible, rassemblez le peuple. » s'adresse Sidon au conseiller de son époux qui s'éloigne déjà. « Dites-leur que vous êtes là pour les libérer de Günter. Dites-leur que je suis de retour, et que nos deux royaumes vont à nouveau être en paix.

Sous les regards de ses hommes, Keril serre les dents, mais hoche la tête. Ainsi, même à la porte de la victoire, il arrive encore, en quelques mots, à lui voler le commandement.

Ils gravissent les marches, le regard de Sidon rivé à la terrasse que desservait sa chambre et qui les surplombe, puis au ciel clair où s'éteignent les étoiles, un sourire amer sur les lèvres, comme une boucle qui se referme.

Parvenus au sommet, l'Oméga se retourne sur sa ville. La crasse qui s'amoncelle dans les rues est visible jusqu'ici, alors que les riches couleurs des vêtements ruhniens qui jouaient sur le sable d'or se rappellent à lui. Comment sa cité a-t-elle pu en arriver là ? Certes, revenir lui aura pris du temps, mais la mort, la souillure et la disgrâce peuvent-elles prendre possession d'une aussi grande ville en moins de deux mois ?

La Vengeance d'un Oméga [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant