chapitre 10

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| 22 juillet 2005

Avant de le revoir bien vivant et en forme, Asuga n'aurait pas su dire ce qui la retenait dans Roppongi. Elle errait sans réel but entre son district natal et celui des Haitani, était hébergée par les jeunes qui lui étaient fidèles, contactée par toutes les délinquantes du coin qui mouraient d'envie de rejoindre sa cause depuis que son envie de résusciter les gangs sukeban avait été révélée. Son règne était prêt à débuter, elle avait assez de cartes en mains pour partir à la conquête de ce qu'elle avait toujours convoité, et pourtant, elle était incapable de se résoudre à se plonger dans cette aventure, à repartir officiellement pour Kabukichō. Sa capuche rabattue sur sa tête pour éviter qu'on ne repère de loin sa chevelure rose bonbon, elle songeait à ce qu'elle ferait lorsqu'elle y serait si elle n'était pas certaine de pouvoir offrir à ses subordonnés une situation stable. Débuter sa montée au pouvoir avec une potentielle guerre contre Roppongi était hors de question. Sur tous les plans de sa vie, il fallait qu'elle lui parle, qu'elle s'assure qu'ils n'étaient pas ennemis.

Peut-être le savait-elle déjà au fond d'elle, et peut-être cherchait-elle seulement une excuse pour le voir une dernière fois avant un long moment. Peut-être n'aimait-elle pas l'idée de partir ainsi, de le laisser là sans lui avoir fait comprendre que l'oublier n'était pas une option puisqu'elle reviendrait réclamer son dû - le réclamer, lui - un jour où l'autre. Quoiqu'il en soit, Asuga n'aurait pas non plus été capable de décrire le sentiment qui la traversa quand elle aperçut le conducteur de la voiture garée devant elle tandis qu'elle quittait une supérette aléatoire. Du moins, pas avec la précision qu'il méritait, parce qu'elle sentait qu'il s'agissait d'un sentiment complexe mais n'en retenait que la chaleur qui se propageait dans sa poitrine dès qu'il pointait le bout de son nez et l'envie viscérale qu'elle ne redevienne jamais froide.

— Une voiture ? s'étonna-t-elle lorsque Ran lui ouvrit la portière depuis l'intérieur. T'es sûr d'avoir ton permis, au moins ?

— Bonjour, oui je vais bien, merci de demander, tu m'as terriblement manqué aussi.

— Je veux bien te croire sur ce dernier point.

Amusée, la jeune femme s'installa côté passager sans se poser de question. N'importe qui aurait été réticent à l'idée de monter en voiture avec lui après l'incident de leur dernière rencontre, mais se méfier de Ran ne comptait pas parmi les aptitudes d'Asuga, alors elle se contenta de lui sourire derrière la sucette qui occupait sa bouche et de détailler son profil tandis qu'il se chargeait de les emmener quelque part où ils pourraient discuter tranquillement. Sur le chemin, Asuga adressa un signe de la main à un groupe de jeunes femmes comme pour leur indiquer de ne pas s'inquiéter. Ran suivit cet échange silencieux avec étonnement. Si cette ébauche de gang lui était déjà fidèle au point de s'aventurer dans Roppongi avec l'objectif de veiller sur elle de loin, il ne pouvait qu'avoir hâte de connaître la Asuga officiellement nommée leader du premier gang sukeban de la nouvelle vague de délinquance féministe, celle qui serait vénérée comme elle le méritait.

De son côté, la jeune Yano observa discrètement le conducteur en silence. À le voir ainsi, imperturbable et toujours armé de son ironie sans limites, il était difficile de croire qu'on l'avait poignardé quelques jours auparavant. La délinquante grimaça à ce souvenir, ouvrit la bouche comme pour s'excuser, puis la referma sans rien dire. Elle n'avait pas tenu le couteau, pourquoi se sentait-elle désolée ? L'espace d'une seconde, elle se demanda si Rindo prenait aussi bien la chose que son aîné ou s'il la détestait, si leurs activités étaient à nouveau surveillées et s'ils avaient des problèmes... mais elle ne dit toujours rien. Ran n'en avait rien à faire, et la confusion de ce constat était plus forte que son envie d'avoir des réponses.

𝗕𝗘𝗗 𝗢𝗙 𝗥𝗢𝗦𝗘𝗦 ; tokyo revengersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant