chapitre 38

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| 31 décembre 2017

S'il avait existé une époque à laquelle il avait apprécié les festivités du nouvel an, Manjiro Sano l'avait depuis bien longtemps oubliée, enterrée avec le reste de tout ce qui avait un jour fait de lui un garçon aimable.

Pour ses yeux qui en avaient trop vu et qui ne s'attardaient plus sur rien, le trente-et-un décembre n'était qu'un jour de plus sur le calendrier. Un jour bruyant, qui plus est, et plein de bonne humeur pour quiconque se plaisait à mener une vie normale tandis qu'il déplaçait la carcasse mobile qui lui servait de corps sans aucune ambition autre que celle de ne plus être perçu. Être perçu était pourtant sa principale activité et tout ce qui faisait sa personnalité ; il ne vivait plus que pour les regards méfiants et les récompenses trop facilement gagnées. Et il avait beau constamment attirer l'attention, en entrant ce soir-là dans le plus aléatoires de tous les hôtels luxueux auxquels il avait facilement accès, Mikey sut qu'un regard différent venait de se poser sur lui.

Cette certitude le suivit jusqu'au bar du niveau principal qui se trouvait à quelques mètres de l'entrée, là où, sous les lumières tamisées qui pendaient au-dessus du comptoir verni, il remarqua sa silhouette. Une grande silhouette posée devant un verre à peine entamé, trop bien placée pour ne pas l'avoir attendu mais bien détendue pour le lieu qu'elle fréquentait, il devait l'avouer. Ses cheveux étaient plus longs qu'il ne les avait connus et ses mains étaient nues, dépourvues de bijoux comme on lui avait arraché toutes les vies qu'ils avaient représentées, mais ses épaules étaient toujours droites et ses yeux toujours aussi gris. Il fut plus déçu de deviner que son amour pour ses proches n'avait pas changé non plus.

Manjiro n'adressa que quelques mots très brefs à l'employé qui se trouvait derrière le comptoir, son attention déjà tournée vers les deux orbes aux teintes orageuses qui se pensaient discrètes à scruter le moindre de ses faits et gestes depuis qu'il avait fait son entrée. On lui servit son verre en moins de deux minutes et il décida de jouer le jeu, quitte à la voir se persuader qu'il avait perdu la tête au point de ne plus reconnaître les anciens piliers de sa vie.

— T'es qui ? lança-t-il sans préambule, de son ton le plus détaché et en ne l'observant que du coin de l'œil. Ta tête me revient pas.

Les doigts fins de la jeune femme serrèrent avec un peu plus de rancœur le verre qu'elle tenait encore comme une couverture pour la vraie raison de sa venue, et il préféra ne pas lui laisser le temps de s'enfoncer dans des mensonges insensés. Elle était peut-être forte et pleine de bravoure mais sa fierté n'en était que plus évidente et il était trop fin observateur pour manquer ces détails qui lui échappaient même dans son envie de se faire passer pour quelqu'un d'autre.

— Si, si, ça me revient, reprit Manjiro sans pour autant se montrer plus enjoué. T'es la fille de la semaine dernière, au soapland de la rue d'à côté. Pas vrai ? Hoche juste la tête, indiqua-t-il en croisant le regard indigné qu'elle ne put réprimer.

Les yeux gris qu'elle avait posés sur lui devinrent presque aussi noirs que les siens mais il prétendit ne rien voir, comme il avait prétendu ne voir aucun des visages de ses amis au moment fatidique, comme il avait ignoré toutes leurs belles paroles et promesses d'un avenir meilleur. Il avait beau chercher la moindre force de se soucier de cette vie qui se trouvait à côté de lui et qui avait si longtemps été son refuge, la seule chose qui l'intéressait était de savoir si elle l'avait retrouvé avec l'espoir qu'elle serait différente des autres ou bien celui d'en finir pour de bon ; et s'il avait cru en quelque chose, Manjiro aurait prié pour la deuxième option. Il lui avait arraché tout ce qu'elle avait un jour chéri, elle devait bien cacher quelque part l'envie de se venger.

𝗕𝗘𝗗 𝗢𝗙 𝗥𝗢𝗦𝗘𝗦 ; tokyo revengersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant