Avenir ?

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- Tu te caches ?

La voix de Lincoln me fait sursauter. Son sourire entendu me fait ravaler le mensonge que je m'apprêtais à lui servir. Je me contente de hausser les épaules.
- La journée à été difficile. J'avais juste besoin de me retrouver seule 2 minutes.

Tambours, guitare et cornes jouent devant la boulangerie et plusieurs personnes se sont mises à danser ou à taper dans leurs mains. De l'autre côté du parc, nous parvient une odeur de viande rôtie. Des torches enflammées et des lampes électriques illuminent les allées. Les gens rient, chantent, s'amusent.

J'ai pris soin de me réfugier dans l'ombre.

Ces dernières heures, je me suis mêlée aux autres uniquement parce que c'est ce que l'on attendait de moi. Je refuse d'afficher ma déception et de révéler en même temps mon arrogance. Je me suis crue assez intelligente pour être choisie. Quelle idiote!
-Tiens.

Lincoln me tend un gobelet.
- Ça te fera du bien.

Je laisse le breuvage sucré me couler dans la gorge. Un arrière-goût plus fort me brûle les papilles. De l'alcool. La colonie a besoin de toutes les céréales et de tous les fruits pour se nourrir; l'alcool est donc très rare. Néanmoins, une petite quantité est fabriquée pour les grandes occasions- comme la soirée de la remise des diplômes. Seuls les adultes sont autorisés à en consommer mais mes frères m'ont déjà permis de tremper les lèvres dans leur verre les années passées. En réalité, je n'aime pas vraiment ça. J'avale une minuscule gorgée avant de rendre son verre à Lincoln.
-tu te sens mieux gamine ?
Je baisse les yeux.
- Pas vraiment.
-Mouais.
Il s'adosse au tronc d'un gros chêne et vide son verre d'un trait.

-Tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait, soupire-t-il. C'est comme ça. Dans ces cas-là, il faut rebondir et trouver de nouveaux objectifs.

Son amertume à peine déguisée me fait dresser l'oreille.
- C'est ce que tu vas faire?  Trouver de nouveaux objectifs ?
Ces dernières années, Lincoln a passé pas mal de temps à réfléchir à des opportunités en dehors de Trikru. Je détesterais qu'il se décide maintenant. Qu'il quitte la colonie serait triste. Qu'il la quitte en colère me briserait le cœur.

Ses doigts se crispent autour de son verre, mais il répond d'une voix étrangement douce.
- Je n'ai pas envoyé de demande d'emploi à Mount Weather, si c'est ce que tu veux savoir. Si papa a changé sa déclaration cet après-midi, c'est la demande du magistrat. Tu me connais je vais être de mauvaise humeur pendant quelques jours et puis ça va me passer.

Son regard balaie le parc. Il est tard et si certains dansent et chantent encore, beaucoup commencent à partir. La grande journée touche à sa fin.

Après quelques minutes de silence, Lincoln lâche:
-Tu pourrais le faire, tu sais?
-Quoi?
-Parler au magistrat. Envoyer une demande d'emploi à Mount Weather.

L'idée est à la fois tentante et terrifiante. Avec l'accord du magistrat, tout colon désireux de travailler a Mount Weather ou dans une autre colonie peut envoyer un formulaire d'application. Si un emploi correspondant est disponible, il reçoit une offre en bonne et due forme de la Communauté Unifiée. En seize ans, je n'ai connu que 2 personnes qui ont obtenu un post après avoir effectué cette démarche. Après la déception d'aujourd'hui, je ne suis pas sûre d'être capable d'en affronter une autre.

Mes doutes doivent se lire sur mon visage car Lincoln me prend pas les épaules et me serre brièvement contre lui.
-T'en fais pas, gamine. Tu as tout le temps pour décider de ce que tu feras du reste de ta vie.
Dommage que notre mère ne soit pas du même avis.

Le lendemain matin, nous nous levons tous assez tard, mais je viens à peine de m'habiller qu'elle lance la première offensive:
-Si tu ne veux toujours pas travailler avec ton père, Finn Collins a une place dans son équipe. Tu devrais le rencontrer avant qu'il embauche un autre diplômé.

Finn Collins est le chef de l'équipe qui s'occupe de l'entretien et des réparations des machines-outils agricoles de la colonie. C'est vrai que j'adore la mécanique mais l'idée de passer ma vie à réparer des tracteurs me désespère. Je marmonne:
-Je vais y penser.

Cette réponse évasive ne convient pas à ma mère. Il lui suffit d'un froncement de sourcils pour que je me retrouve perchée sur mon vélo, direction le centre-ville.

Les Collins habitent dans une jolie petite maison re l'autre côté de la colonie. Je frappe à la porte, le cœur loud. Je ne peux m'empêcher de pousser un soupir de soulagement quand Mme Collins m'apprend que son mari est parti tôt ce matin à la ferme Endress. Il ne sera pas de retour avant plusieurs jours. Je viens de gagner un sursis.

Le lendemain de la remise des diplômes est traditionnellement un jour de repos. Les gens restent chez eux et reçoivent des amis ou de la famille. Ma mère a prévu un repas et je devrais probablement rentrer pour l'aider à le préparer. Mais je n'en n'ai aucune envie.

Arrivée au parc, j'appuie mon vélo contre un arbre et je m'assois au bord de la fontaine. Un ou deux citoyens me font signe mais aucun ne s'arrête pour discuter, Ça m'arrange. Le menton dans les mains, je regarde l'eau couler en essayant d'oublier le vide qui grandit en moi depuis hier. Je suis une adulte. Depuis que je suis toute petite, j'observe mes parents en attendant le jour où je serai comme eux. Pleine d'assurance. Forte.

Je ne me suis jamais sentie aussi désemparée.

L'horloge sur la façade de la maison du magistrat sonne 3 heures. Il est grand temps de rentrer si je ne veux pas que ma mère s'inquiète.

Je suis à mi-chemin quand j'aperçois mon frère Lincoln. Il court vers moi en m'adressant de grands signes. Zut. Si ma mère la envoyé me chercher, c'est que je suis dans le pétrin. Sûre que je vais avoir droit à un sermon.
Mais il s'agit de tout autre chose.
- Le magistrat Titus a envoyé un message radio à papa juste après ton départ. Tu dois être chez lui à 4 heures pour discuter de ton avenir. Quand maman a vu que tu ne revenais pas, elle nous a tous lancés à ta recherche, m'explique mon frère. Et t'as plutôt intérêt à te dépêcher si tu veux y arriver à temps, ajoute-t-il sur un ton narquois.

Il a raison. Quand j'arrive au parc, je suis en nage, échevelée et surtout tendue. Le magistrat convoque parfois mon père ou mes frères pour évoquer l'avancée de leurs travaux, mais c'est une première fois pour moi. Il veut discuter de mon avenir ? Je me demande si ma mère l'a contactée pour lui faire part de son inquiétude à mon égard. À moins que mon indécision ne soit si évidente... l'idée que quiconque ait remarqué ma déception me remplit de honte.
...
you don't ease pain. You overcome it.

-C

L'Élite tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant