Faiblesse

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Des bras me soutiennent. On me ramène dans le hall. On me demande d'attendre et des officiels en combinaison courent dans tous le sens. Je serre mon sac contre moi. Un brancard passe avec le corps de Rebecca. Elle a toujours la corde autour du cou. C'est en fait la robe qu'elle portait la veille nouée avec un drap.

Je vomis. Mes larmes ruissellent sur mes joues. Je pleure sur elle et sur moi qui n'ai pas su déceler son désespoir sous sa façade hautaine. Est-ce que ma dernière réflexion a été la goutte d'eau qui l'a poussé à passer à l'acte ? Aurais-je pu la sauver avec un mot d'encouragement ?

-Lexa ?

Le docteur Barnes me tient par les épaules et me regarde dans les yeux. Je remue la tête pour lui montrer que je l'ai entendu.

-On va te donner une nouvelle chambre. Est-ce que tu as envie de parler?

Non, mais je vais le faire. Il le faut. Je lui raconte tout ce qui s'est passé avec Rebecca et moi un peu plus tôt, je lui parle aussi des biscuits et de mes soupçons. Il m'écoute attentivement, sans me juger ni m'interrompre. D'un signe de tête, il m'encourage sans jamais se laisser distraire par les officiels qui nettoient le sol et discutent à voix basse.

Quand j'ai fini, je me sens vide, ce qui est mieux que d'être torturée par la culpabilité. Le docteur Barnes m'assure que je n'ai aucune responsabilité dans la mort de Rebecca. Certains candidats ont parfois du mal à gérer leur stress. Il arrive qu'ils ne parviennent plus à manger, d'autres font des insomnies. Rebecca, elle, s'est ôté la vie. C'est une tragédie mais finalement, c'est mieux pour la Communauté. Elle n'aurait pas été capable de supporter la pression inhérente aux hautes responsabilités qui attendent ceux qui passent le Test avec succès. C'est un événement regrettable, bien sûr, mais qui a un sens. Il espère que le choix de Rebecca de ne pas poursuivre le Test ne remet pas en question ma propre motivation.

Son choix de ne pas poursuivre le Test ? Les mots du docteur Barnes me glacent. Un officiel vient m'informer que ma chambre est prête. Je me force à sourire et j'assure au docteur Barnes que je vais bien et que lui parler m'a beaucoup aidée. Mais c'est un mensonge. Malgré la douceur de son ton, j'ai perçu son indifférence. Pour lui, tout ça fait partie du Test. Rebecca a échoué et si je ne fais pas attention, j'échouerai aussi.

Ma nouvelle chambre se trouve tout au bout du couloir. Les murs jaunes me rappellent la robe que Rebecca portait quand je l'ai vue pour la première fois. L'officiel me demande si ça m'ennuie de ne pas partager ma chambre. Si je n'ai pas envie d'être seule, une femme du personnel sera heureuse d'occuper le deuxième lit.

Non, je n'ai pas envie d'être seule. Je n'arrive pas à me débarrasser de l'image de Rebecca pendue au plafond, les jambes se balançant dans le vide. Si je ferme les yeux ou que je m'endors, ce sera pire. L'idée de rester seule me donne envie de me recroqueviller sur moi-même et de ne plus jamais bouger.

Mais les mots du docteur Barnes résonnent encore à mes oreilles. Ici, on ne teste pas que nos connaissances. Si je demande de l'aide, ce sera un aveu de faiblesse. L'élite ne peut faire preuve de faiblesse. Et le but du Test est de sélectionné l'élite.

Je remercie l'officiel en affirmant que je n'ai besoin de personne. Il me répond que si je change d'avis, je n'aurai qu'à prévenir l'officiel au bureau d'accueil. Et si je le désire, on peut me fournir des somnifères ou des calmants. Je refuse et il s'en va.

Hormis la couleur des murs, ma nouvelle chambre est l'exacte réplique de celle que je partageais avec Rebecca. Dans le couloir, j'entends des pas et des murmures. Le souper est terminé et les autres candidats vont se coucher. Pendant un instant, j'hésite à aller retrouver mes amis mais je ne le fais pas parce que ça pourrait être considéré comme de la faiblesse. Je prends une douche, enfile mon pyjama, lave mes vêtements et les mets à sécher.

Allongée sur mon lit, je fixe le plafond en essayant de me concentrer sur des souvenirs heureux. Je n'y arrive pas. Je me demande si mon père a vécu une expérience similaire quand il a passé le Test. Peut-être que son cerveau a décidé de créer des souvenirs encore pire pour l'aider à décompenser une expérience qu'il n'a pas réussi à digérer.

À cet instant précis, je pense que c'est très certainement le cas.

Le couloir est maintenant silencieux. Les autres dorment sans aucun doute. J 'ai laissé toutes les lumières allumés et je lutte contre la lourdeur de mes paupières. Je suis en train de perdre le combat quand un éclat au plafond attire mon attention. Un cercle minuscule comme dans l'aérojet.

Une caméra.

Sachant que je suis observée, je fais de mon mieux pour dissimuler ma surprise. Cette chambre est-elle la seule à être surveillée ? Ils veulent peut-être garder un œil sur moi après ce qui s'est passé. Mais non, au fond de moi, je sais que ce n'est pas le cas. Ce qui veut dire... quelqu'un a forcément vu Rebecca préparer la corde pour se pendre, réfléchir au meilleur endroit où l'accrocher, monter sur une chaise et la balancer d'un coup de pied, se débattre.

Elle aurait pu être sauvée.

Ils l'ont laissée mourir.

J'essaie d'avoir l'air calme. Je me lève et j'éteins la lumière. La chambre est plongée dans le noir. Je ne veux pas que qui ce soit assiste à mon malaise. Je me glisse sous les couvertures et par habitude, je serre mon sac contre moi. Je me demande si la personne qui a été témoin du dernier geste de Rebecca est hantée par la scène. J'espère que oui.

Je finis par m'endormir et le visage boursouflé de Rebecca me poursuit dans mon sommeil. Elle me parle, se moque de mes échecs, m'offre un biscuit et cette fois, j'accepte. Chaque fois, je me réveille en sursaut. Et puis, la tête sous l'oreiller, je me force à me calmer. La caméra est peut-être pourvue d'une vision infrarouge.

L'Élite tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant