discussion

145 15 0
                                    

Ma mère renifle et mon père et moi sortons dans la nuit. Il me prend la main comme quand j'étais une petite fille et nous nous dirigeons vers le jardin à l'arrière de la maison. La lune et les étoiles sont voilées, comme toujours. Il paraît qu'à une certaine époque, quand le ciel était encore clair, la lune et les étoiles scintillaient comme des diamants. C'est peut-être vrai mais c'est difficile à imaginer.

Mon père appuie sur un interrupteur et dans un bourdonnement, un spot éclaire les marguerites, les roses et le potager. Les légumes et les fleurs sont l'œuvre de mon père et de mes frères, la lumière est la mienne. Les lois de la colonie sur l'usage de l'électricité sont très stricte. La production et le stockage sont extrêmement limités dans notre zone. La plupart des familles sont dépourvues de courant sauf celles qui parviennent à en générer elles-mêmes. Peu s'en donnent la peine; après tout, les bougies et les lanternes fonctionnent très bien. Il y a quelques années, j'ai décidé de relever le défi et papa a accepté de me donner des tuyaux d'irrigation dont il ne se servait pas. J'ai également récupérée à droite à gauche du fil et des morceaux de cuivre. Le plus difficile a été de persuader ma mère de me céder des bocaux en verre, un peu de notre précieux sel et quelques autres objets dont j'avais besoin. J'ai ainsi réussi à créer un réseau de 15 lampes toutes alimentées par l'énergie solaire que mes panneaux emmagasinent dans la journée. Je pourrais fabriquer un système beaucoup plus sophistiqué aujourd'hui, mais papa veut garder celui-ci. Nous le démontons et remontons à chacun de nos déménagements. Pendant un instant, je me demande quand nous aurons à le déplacer à nouveau puis, je me rappelle que cette question ne me concerne plus.

Mon père m'entraîne au banc de chêne que Lincoln a fabriqué pour l'anniversaire de maman. Nous nous asseyons.

Les criquets stridulent et le vent fait bruisser les feuilles de l'arbre au-dessus de nous. Dans le lointain, en tendant l'oreille, on distingue le hurlement des loups.

Après une éternité, papa serre ma main plus fort. Quand enfin il décide à prendre la parole, il parle si bas que je dois me rapprocher de lui pour l'entendre.

- Il y a des choses que je ne t'ai jamais dites, Lexa. Que j'espérais ne jamais avoir à te dire. Même maintenant, je ne suis pas sûr que je devrais.

Mon dos se raidit.

-C'est à propos du Test?

J'ai beau l'avoir harcelé de questions, papa ne nous a jamais parlé des jours qu'il a passé au centre de Test de Mount Weather,  pas plus que ses années d'université. Pendant un instant, je me sens plus proche de lui que jamais : je m'apprête à vivre ce qu'il a vécu. Mais en quelques mots, il fait voler cet instant en éclats.

-Tu n'aurais jamais dû être choisie.

C'est comme s'il me giflait. J'essaie de récupérer ma main, mais il s'y accroche. Son regard se perd dans la nuit et c'est la peur que je lis dans ses yeux. L'angoisse me serre soudain la poitrine.

-Quand j'avais ton âge, reprend mon père, j'avais le même rêve que toi. Mes parents me soutenaient. Nous vivions dans la colonie de TonDC, une des plus grandes de la Communauté Unifiée. Et nous avions à peine de quoi manger. Nous étions trop nombreux. Il n'y avait pas assez de ressources pour nourrir tous les citoyens. Tout le monde connaissait au moins une personne morte de famine. Mes parents croyaient que j'avais les capacités de changer le monde, de restaurer l'équilibre de la terre. Moi, je voulais qu'ils reçoivent l'argent que le gouvernement alloue aux familles des candidats pour compenser la perte d'une force de travail. Je reconnais aussi que j'étais flatté de la confiance qu'ils m'accordaient. J'avais envie de croire que je possédais ces qualités qu'ils me prêtaient. Je voulais essayer.

J'ignorais que les familles recevaient de l'argent et j'ai envie de lui demander si eux aussi vont recevoir cette allocation, mais je ne veux pas l'interrompre.

-À l'époque, il n'existait que 14 colonies. Nous étions 71 au centre du Test. L'examen a duré 4 semaines. Je ne me rappelle pas une seule journée. 16 d'entre nous ont réussi. Le doyen de l'université nous a expliqué que la mémoire des candidats était effacée après le Test, afin d'assurer la confidentialité des épreuves.

-Tu ne peux pas du tout me dire comment ça va se passer?

Je suis déçue. J'espérais que l'expérience de mon père serait un atout. Mais évidemment, le gouvernement ne prend aucun risque.

- Je me rappelle mon arrivée au centre, poursuit mon père. Je me rappelle mon camarade de chambre, Geoff Billings. Je me rappelle que nous avons trinqué à notre brillant avenir avec du lait et des biscuits. Il y avait beaucoup à manger, nous étions tous les 2 très excités. Nous avons à peine fermé l'œil de cette première nuit car nous savions que notre rêve pouvait s'arrêter dès le lendemain si nous étions pas assez bons. Ensuite, plus rien. Puis je me retrouve dans une grande pièce face à des examinateurs et on m'annonce que j'ai réussi. À la rentrée universitaire, 3 semaines plus tard, Geoff n'était pas là. Pas plus que les 2  filles de ma colonie qui avait voyagé avec moi.

Une chouette pousse un cri perçant, mais mon père ne semble pas l'entendre.

-Les cours à l'université étaient simulant, je travaillais beaucoup et j'aimais ça. J'aimais savoir que je participais à quelque chose d'important. Mes parents ont réussi à me faire savoir qu'ils allaient bien et qu'ils étaient fiers de moi. J'étais heureux. Je n'ai plus accordé une pensée à Geoff et aux autres candidats qui avaient échoué.

Il ferme les paupières et moi, je me demande ce que ça fait de perdre une partie de ses souvenirs. Que ressentirais-je si je ne me rappelais rien d'autre de Anya que je le jour de notre rencontre? Si j'oubliais nos aventures et nos fous rires ? Cette seule idée me donne envie de pleurer et j'entre croise mes doigts avec ceux de mon père pour lui faire sentir que je suis là. Pour nous rassurer tous les 2.

-Après l'université, j'ai été envoyé à la colonie Lennox. Un botaniste était sur le point de faire une importante découverte et le gouvernement a estimé que je pourrais l'aider. J'ai travaillé là-bas pendant un an et puis, un jour, j'ai croisé un garçon qui m'a rappelé Geoff. La nuit suivante, j'ai commencé à faire des cauchemars. Je me réveillais en nage au milieu de la nuit, le souffle court. Mon travail souffrait de mon manque de sommeil et les médecins officiel m'ont prescrits des pilules. Ça n'a pas arrêter les rêves, au contraire. Je me suis mis à avoir des visions en plein jour. Au début, ce n'était que des images sans lien entre elles. Geoff dans une pièce blanche avec des pupitres noirs qui m'adressait un sourire et un geste d'encouragement, une grande horloge rouge dont la trotteuse cliquerait pendent que je manipulais 3 fils électriques bleus, une fille en train de hurler.

...

Everyone has a chapter they don't read out loud.

-C

L'Élite tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant