L'Élite tome 1

Sous surveillances

-À quoi tu penses? me demande Clarke.

Je sursaute et je prends un air innocent.

-Quoi?

Elle hausse un sourcil. Elle n'est pas dupe. Je me mords la lèvre et je me lance:

-Pourquoi crois-tu qu'aucun élève de Trikru n'a été sélectionné pour le Test pendant si longtemps ?

-Peut-être que le gouvernement de la Communauté Unifiée trouvait que notre colonie était trop petite pour la priver de citoyens.

Trikru a beaucoup grandi ces 10 dernières années. À peu près 350 nouveaux citoyens sont venus s'y installer. Malgré tout, ça reste peu si l'on considère que les autres colonies comptent jusqu'à 10 000 habitants. Clarke me dévisage.

-Tu crois qu'il y a une autre raison? me demande-t-elle.

J'aimerais pouvoir partager avec elle les soupçons de mon père. Ce serait rassurant de savoir qu'une autre paire d'yeux est attentive à un éventuel danger. Mais mon père a été clair : je ne dois faire confiance à personne. Si Clarke et moi étions seules, je choisirais peut-être d'ignorer l'avertissement mais je suis obligée de penser aux autres. Je me contente donc d'un :

-Je dirais que c'est une possibilité.

-Eh bien, si tu apprends quelque chose à ce sujet, tiens-moi au courant. Ça fera plaisir à mon ami. Il n'a pas encaissé que j'aie été choisi alors qu'il avait échoué.

Je hoche la tête.

-Mon frère Lincoln a eu la même réaction.

Clarke me sourit toutes fossettes dehors et pendant l'heure qui suit nous discutons de nos amis, de notre famille, de tout ce qui nous manquera de Trikru, de nos ambitions et de nos espoirs. J'apprends avec surprise qu'elle veut travailler dans la génétique végétale comme mon père. Je pensais qu'elle opterait pour un secteur plus prestigieux. Pourtant, après réflexion, c'est assez logique. Clarke est mignonne et elle a du charisme mais elle n'en n'a jamais abusée. Elle est toujours prête à aider un voisin et elle n'attend jamais de remerciement ou de récompense en retour. Je pense que mon père serait fier de l'avoir dans son équipe.

Nous avons terminé le sachet de fruits secs mais nous avons encore faim. Clarke prend un paquet de biscuits et s'apprête à l'ouvrir quand Michael nous prévient:

-On va s'arrêter pour déjeuner dans quelques minutes. Vous devriez réveiller vos amis.

Nous n'y sommes pas obligés. La voix de Michael a suffi à tirer Niylah et Monty du sommeil. Pendant qu'ils bâillent et s'étirent, je me demande comment Michael a su que Clarke avait pris les biscuits. Le timing était trop parfait pour que ce soit une coïncidence. Pourtant, Clarke, ni surprise ni inquiète, range le paquet dans un placard. Elle doit supposer que Michael a tourné la tête et nous a vus par la vitre. Mais moi, je sais que ce n'est pas le cas. Alors ?

Là dans un coin de la cabine, je repère un minuscule rond de verre. Un objectif de caméra? Je scrute discrètement le reste de la cabine. Je n'en vois pas d'autres. Je suis presque sûre d'avoir raison.

Nous sommes observés. Par Michael ou d'autres ? Le Test aurait-il déjà commencé? L'idée d'apparaître sur un écran quelque part me donne la chair de poule. Peu de gens en possèdent un à Trikru. Mon père, le magistrat et 3 ou 4 personnes dans tout la colonie. Ils sont éteints la plupart du temps. On dirait que ce n'est pas le cas partout.

Je me lève pour m'approcher du poste de pilotage. J'ai l'impression que la caméra suit mes moindres mouvements. Est-elle munie d'un micro? Si je pouvais, je regarderais de plus près mais c'est trop risqué. De toute façon, il vaut mieux partir du principe que si quelqu'un nous regarde, il nous écoute probablement aussi. J'appuie mon front contre la vitre et j'essaie de garder un visage impassible.

L'étendue brune et craquelée que nous avons survolée est maintenant remplacée par un paysage plus vert. La terre est aussi plus foncée, plus riche; c'est le signe de le revitalisation. Le fruit du travail d'une autre colonie. Au loin, je distingue des édifices. Certains sont très élevés. Plus élevés que ceux de Trikru. Je me demande de quelle colonie il s'agit et je réalise que j'ai dû poser la question à voix haute quand Michael me répond:

-C'est la colonie d'Ames. Nous allons nous poser en périphérie pour déjeuner. Le comité du Test a prévu de nous livrer à manger à ce point de rendez-vous.

Je m'étonne:

-Nous ne verrons pas la colonie?

-Un autre jour. Pour le moment, le comité préfère éviter tout contact avec d'éventuelles sources d'informations extérieures. Et maintenant assieds-toi si tu ne veux pas tomber pendant l'atterrissage.

J'obéis et je répète aux autres les informations que vient de me délivrer Michael. La caméra que nos déplacements  soient restreints me crispe un peu. L'aérojet ralentit puis descend avant de se poser dans un soubresaut qui projette Monty par terre.

-Désolé, s'excuse Michael en sortant de la cabine de pilotage pour venir de notre côté. J 'ai toujours du mal à me poser et puis, les freins sont neufs et je ne les sens pas très bien.

Il tend la main à Monty pour l'aider à se redresser et appuie ensuite sur un bouton. La portière s'ouvre dans un soupir. L'air chaud et une odeur d'herbe nous sautent à la figure. Nous suivons Michael jusqu'à une petite cabane, nichée au milieu d'arbustes, de buissons et de plates-bandes fleuries. C'est difficile de croire qu'à seulement quelques mètres, la terre est asséchée et mourante. Celui qui s'est occupé des plantations a bien travaillé.

La cuisine est équipée d'une table et de 5 chaises. Dans le fond, une porte donne probablement sur des toilettes. Le tout ne fait pas plus de 4 ou 5 mètres carré et embaume le rôti grillé, les légumes et l'ail. Sur le comptoir, une cloche en verre protège une miche de pain et un morceau de fromage. Il fait frais, presque froid et Michael ne veut pas que nous ouvrions les fenêtres pour ne pas dérégler le climatiseur. Les uns après les autres, nous allons nous laver les mains et nous passer de l'eau sur le visage. Je passe la dernière et en attendant mon tour, je fais semblant de me promener dans la petite pièce. La première caméra que je repère est placée dans le lustre au-dessus de la table. La deuxième dans le coin gauche du plafond. S'il y en d'autres, elles sont trop bien cachées pour moi. De toute façon, ces deux-là suffisent à me gâcher le plaisir du repas. Malgré tout, je m'efforce de manger normalement. Je souris et ris. Du coin de l'œil, je remarque que Michael m'observe avec curiosité. Il regarde la caméra puis me regarde de nouveau.

Il sait que je sais.

Il semble satisfait. Presque fier de moi.
...
L'épisode 11 de GAP the series m'a tellement fait pleurer. Sam et Mon méritent tellement mieux.