Chapitre 34 : Aline

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Jeudi 23 décembre 2019


Il fait nuit noire depuis longtemps quand nous sortons enfin de la boutique du serrurier. Je quitte à regret Gérard et sa baraque accueillante, pour aller dans le froid vif et mordant régnant dans les rues illuminées de la capitale, malgré les braseros présents tous les vingts mètres et disséminés à travers la ville.

Pendant qu'on descend vers le port, caché dans des capes en fourrures foncées prêtées par Gérard, je discute à voix basse avec Lucas de mon enfance sur Terre en région parisienne, tandis que Randel marche quelques mètres devant nous pour ouvrir la voie.

Nous arrivons vite au port, mais du mauvais côté : nous sommes sur les premiers quais en partance du sud, à l'est du port, et les bateaux que nous visons sont à l'ouest, en partance pour le nord. Il va nous falloir marcher encore une heure à découvert pour atteindre les navires des marchands d'Elidaïe.

Et c'est ce qu'on fait, parce qu'on a pas d'autres choix de toute façon... Et marcher le long de l'eau, alors qu'il doit faire proche du zéro degré, avec tous les vents que cela amène malgré la tranquillité de la mer, cela me laisse complètement gelée. Je n'ose pas me réchauffer avec quelques flammes, parce que ce serait se foutre de la gueule du monde...

Au bout d'un long moment nous arrivons enfin en vue des bateaux que les mecs prévoient de voler. Il n'y a que très peu d'éclairage sur cette partie du port, ce qui va nous rendre la tâche d'autant plus facile.

On descend sur une des plate-forme où sont attachés une trentaine de bateaux de tailles différentes. Lucas désigne l'un des plus petits, un un mat qui paraît solide pour une courte traversée en mer, retenu par une seule corde à l'embarcadère, et qui semble totalement vide de son équipage.

-Il faut que l'un d'entre nous monte à bord sans faire de bruit pour s'assurer qu'il n'y ait personne dans la cale.

Randel hoche la tête, et sans attendre un instant, il grimpe silencieusement à bord du navire désigné. Et il ne s'est pas passé deux secondes, qu'on entend le rugissement de rage d'une jeune femme.

-Qu'est-ce tu fous là sale connard de mes deux ?!

Et Randel qui saute par dessus bord pour nous rejoindre sur l'embarcadère.

On se retourne tous les trois pour voir apparaître par dessus bord la tête d'une femme... que je reconnais !

-Eh, tu serais pas Aline par hasard ?

Elle me regarde en plissant les yeux pour déjouer l'obscurité dans laquelle je me maintiens sous ma capuche.

-T'es qui ?

-J'étais avec Alex sur le bateau il y a une semaine.

-Ah oui c'est vrai. Et qu'est-ce vous voulez les jeunes ?

Je ne tiens pas compte de Lucas qui me serre fortement le bras pour que je ne dise pas de bêtises. C'est le seul moyen. On ne peut pas la laisser là sachant qu'elle ne va pas tarder à reconnaître Lucas, et qu'elle serait un témoin beaucoup trop utile pour les gardes royaux.

-On veut aller sur l'île du portail du feu et on a besoin d'un bateau.

-Mais bien sûr. Et pourquoi trois péquenauds comme vous vous allez là-bas.

-Ça ça nous regarde. On vous paye autant que vous voulez pour nous emmener là-bas, et on part maintenant.

Aline lance un regard interloqué à Randel.

-Vous êtes qui les deux là avec la meuf ?

-On est assez riche pour te payer le voyage plus de cents fois aller-retour chacun. Alors laisse nous monter et mets les voiles.

-Pourquoi tu as finis avec deux pauvres types qui veulent se faire passer pour des richards ?

Là Aline s'adresse directement à moi, avec un dégoût profond dans la voix.  Mais au moment où je vais répondre pour tenter une dernière chose, Lucas à côté de moi enlève sa cape et s'adresse à Aline.

-Je suis le Prince Dauphin, et je te demande de nous emmener à l'île du portail du feu pour une mission extrêmement dangereuse dont j'ai été personnellement chargé dû à la nature de ma magie.

Et là Aline est sur le cul. Je vois bien qu'elle a reconnu Lucas, et dans ses yeux dance maintenant l'incertitude.

-Pourquoi vous êtes montés à bord de se bateau comme un voleur, d'abord ?

Tiens donc, elle a commencé directement à vouvoyer Randel. On est sur la bonne voix. Randel continu sur sa lancée :

-Personne n'est sensé être au courant que nous partons, sauf le Roi et quelques conseillers. Et surtout pas quelqu'un de la plèbe qui pourrait ébruité notre départ. Donc en fait vous n'avez pas trop le choix, soit vous venez avec nous, soit on est obligé de vous faire taire, on ne peut absolument pas risqué notre mission à cause de vous.

-Pardon ?! Nan mais je rêve, vous vous êtes pris pour qui en fait ? On vient pas voler des bateau comme ça. Alors non, je ne bougerai pas de là, et vous devrez vous choisir une autre embarcation.

Et elle part pour rentrer dans sa cabine. Mais soudain, elle se fait soulever dans les airs et se retrouve prisonnière de lien de vents. La matière brumeuse qui l'enferme l'amène vers nous, et d'un léger coup d'œil je vois que c'est Randel qui tire les ficelles et qui utilise sa magie. J'espère que ça va pas nous prendre trop de temps et qu'on ne va pas tarder à partir, on n'a vraiment pas de temps à perdre...

-Je crois que tu n'as pas compris. Tu as de la chance que ton Prince te laisse le choix, alors réponds. Tu nous emmène et n  te paye, ce qui est vraiment gentil de notre part, soit on t'élimine, et on prend ton navire nous-même.

Aline, tentant de se débattre contre les vents de Randel, met plusieurs minutes avant de comprendre qu'elle n'est pas en position de force, et qu'elle est vraiment condamnée à mort si jamais elle refuse la proposition que les gars viennent de lui faire.

-D'accord... d'accord... d'accord... je vous... emmène... d'accord... d'accord...! lâchez-moi...!

Je ne m'étais pas rendue compte que Randel avait resserré ses vents jusqu'autour de la gorge d'Aline, ce qui la gêne pour parler.

-C'est bon, Randel ! Laisse-la, elle va nous emmener !

Il me jette un coup d'œil, puis un autre vers Lucas qui hoche la tête vers moi, l'air de dire "écoute ce qu'elle te dis", puis enfin relâche Aline de sa magie, qui tombe de deux bon mètres de hauteur à nos pieds sur l'embarcadère de bois, qui résonne d'un bruit sourd à son atterrissage.

Elle se remet vite sur pied en se frottant le cou et en lançant un regard meurtrier à Randel, puis remonte sur son bateau, nosus faisant signe de venir à sa suite.

On est plus qu'à quelques heures de la liberté et de la vie.


Princesse du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant