Chapitre 1 : Mikhaïl

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"Ils ont promis que les rêves peuvent devenir réalité -mais ils ont oubliés de mentionner que les cauchemars sont aussi des rêves"

Oscar Wilde

Mikhaïl rêvait, et comme souvent, il entendait des cris dans ses songes. Des parures fantomatiques se dessinaient dans son esprit ensommeillé, son imaginaire n'avait pas de sens, il était juste composé de souvenirs perdus, de diverses moments du passé douloureux. Un éclat lunaire et une voix chaleureuse apparurent soudainement dans ses pensées, le réveillant presque instinctivement. Les mains pâles du petit garçon apeuré s'accrochaient violemment sur la couverture, tandis que ses lèvres formaient un hurlement silencieux. Reprenant son souffle et avalant avec avidité l'air, il inspecta méticuleusement la pièce où il se trouvait. Les murs n'étaient pas blancs et tachés de rouges, mais au contraire peints en gris avec de légères fissures par endroit. L'odeur du lieu n'était pas aseptisée, mais plutôt sucrée et chaude (presque comme si des viennoiseries étaient préparées en bas). En penchant un peu plus l'oreille vers la porte, il entendait un ronflement tranquille et quelques mots murmurés, sans doute, en italiens (bien que Mikhaïl n'ait reconnu que les accents). Et si le garçon parvenait à calmer sa respiration au point de battre le silence, il apercevait le doux tapotement, de trois doigts, à rythme régulier, sur une vitre. C'est d'ailleurs sur ce son familier que Mikhaïl parvint à s'endormir d'un sommeil sans sombres images.

Trois tapotements, puis une voix le réveilla complètement : "Monsieur Mikhaïl ? Monsieur Mikhaïl, puis-je entrer ? Je suis venue nettoyer la chambre, et vous apporter votre déjeuné.". Le Soleil de Paris lui souriait en face. La fenêtre de sa chambre grande ouverte semblait l'inviter à participer à une aventure. Promenant un regard dédaigneux vers la porte, il incita la jeune femme à venir à l'intérieur. À peine la poignée soulevée, un tourbillon de couleurs et de bon humeur vint l'attaquer. De son avis, il était beaucoup trop tard pour être heureux. Il ne le savait pas encore, mais la femme devant lui allait lui prouver le contraire.

"- Monsieur Mikhaïl je présume ? Je suis Amélia. Je vous souhaite la bienvenue à l'hôtel Chouchou ! Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité. Vous vous sentez mieux ? Je dois avouer que lorsque Dante vous a ramené tout ensanglanté, on a tous eu très peur ! Un autre drame dans cette battisse, et je crois, que j'étais prête à retourner dans ma province, même avec le général Orlock à mes trousses ! Il n'avait jamais vu une fille de la campagne en colère lui ! Mais, vous auriez dû voir Mr Vanitas, il était si inquiet qu'il a refusé de manger jusqu'à votre réveil ! Enfin, ça, ce n'est pas inhabituel pour lui, de ne pas manger. Tu devrais le voir lorsqu'il reviens de ses escapes nocturnes, un vrai squelette. Heureusement qu'il y avait Mr Noé, et Mademoiselle Jeanne pour le forcer ! Il serait mort de faim, le pauvre petit. Mais, je ne suis pas venue pour ça, je me demandais si...

- J'étais ensanglanté ?

- Oh, sans doute vous ne vous souvenez pas. C'est vrai que ça devait être assez violent. Tout ce sang... Quelqu'un vous a attaqué il y a de cela un mois, vous étiez si blessé que nous ne savions pas si vous vous en sortiriez. » Un air sombre et préoccupé apparût sur son visage, avant que d'une voix plus avenante elle reprit son babillage incessant, que Mikhaïl avait depuis longtemps cesser de prêter attention. « Mais vous voilà de nouveau sur pieds ! Enfin, plutôt réveillé dans votre lit et tout immobile. Mon grand-père aussi c'était réveillé tout immobile, les yeux ouverts juste avant de mourir. Enfin, je ne dis pas ça pour t'inquiéter ou quoi ! C'est plutôt pour te rassurer. »

Elle continuait toujours à parler, il semblait presque qu'un mécanisme intégré dans son corps l'obligeait à couvrir les silences environnants. Pourtant, malgré le flot continu de mots que Mikhaïl entendait, une seule pensée l'obsédait :

« - L'attaque, je ne m'en souviens pas. Je ne me souviens pas de ces derniers mois. Mme Anne ?

- C'est Amélia mon garçon, et tu peux me tutoyer. Pas de chichis entre nous !

- Mme Amélia, combien de temps s'est-il écoulé depuis notre dernière rencontre ? Deux mois ?

- Oh, Mikhaïl six mois se sont passés depuis que tu es parti, et que Chloé est arrivée.

- Chloé est là ?

- Oui, mais elle ne va pas très bien. Depuis qu'elle sait que l'on t'a retrouvé, elle insiste pour te voir. Elle n'arrête pas de répéter en boucle ton nom et celui de ... Non, je ne devrais peut-être pas te le dire.

- Quel nom ? Mme Amélia, quel nom ?

- Chronos."

La douleur.

Les cris.

Un rire.

Un éclat de cheveux blancs et des yeux rouges et violets.

Le sang.

Un sourire dans la nuit noire.

Des bribes de souvenirs assaillaient la mémoire de Mikhaïl. Des images circulaient sans but dans son esprit. Et malgré ses tentatives de retrouver le fil conducteur de son passé, la pelote était bien trop emmêlée pour apercevoir la moindre solution. Il avait envie de crier, il voulait hurler, il se tut. Chloé était devenue sénile d'après les dire de cette jeune femme, il ne voulait pas devenir comme elle. Il s'arrêta alors de réfléchir, s'il laissait toutes ses pensées le noyer, il savait qu'il ne pourrait pas remonter. Il accepta son passé sans l'avoir connu, en se faisant malgré tout la promesse de revenir sur ses souvenirs volés et de punir celui qui les lui avait pris. Il inspira brusquement, et demanda à la jeune vampire à ses côtés des nouvelles de Paris depuis ces derniers mois, afin de se calmer. Au moment même où il vit l'expression pétillante dans les yeux de sa compagne, il sut qu'il avait fait une erreur et qu'il allait le regretter pour les deux prochaines heures. Cette Amélia ne s'arrêtait-elle jamais de parler ?

Alors que Mikhaïl hésitait sincèrement à planter la fourchette, qui dépassait du plateau sur sa table de chevet, dans la gorge d'Amélia pour la faire taire, il aperçut dans le côté droit de sa chambre quelque chose qu'il n'aurait jamais cru revoir. Au milieu de ses propres affaires personnelles, gisait un collier bleu que son frère, il y a longtemps, lui avait donné.

Perdu dans ce lieu inconnu, Mikhaïl se demandait s'il valait mieux se rappeler, ou si au contraire l'ignorance était un cadeau. Il ignorait encore, qu'à l'autre bout de Paris, une ombre criait de rage face au rétablissement de sa victime.

Les souvenirs d'un ArchivisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant