(...)
(Je suis quoi si le vent ne porte plus mes souvenirs et le Soleil ne reflète plus mon image ?)
Le vampire se rapprocha de l'homme en face de lui, maintenant que l'autre monstre avait disparu. Cet homme avait une odeur qui l'hypnotisait, il voulait la goûter et la garder uniquement pour lui. Il voulait déchirer les entrailles de l'autre pour savourer ses accents délicieux, il voulait le caresser pour avoir son sourire en souvenir, il voulait déchiqueter sa peau pour sentir le flux de ses veines, il voulait l'embrasser au point de voir des gouttes écarlates tomber de ses lèvres, il voulait obtenir de lui un sourire qui aspirait à des lendemains.
La salle des prières était bien trop silencieuse à son goût, le corps sans vie de Chronos reposait sur un côté oublié et sombre de l'espace. Elle avait voulu l'utiliser, c'était une de ses certitudes : il ne savait pas qui il était, mais savait les secrets des autres, leurs faiblesses. Il était un atout nécessaire dans sa quête de vengeance, pourtant, il ne parvenait pas à savoir si elle avait raison. Était-il destiné à aider un monstre, ou pouvait-il être quelqu'un de bon ? Il ne savait pas s'il méritait le bonheur des amours heureuses, ou s'il était un monstre destiné à être beau lors de ses crimes. Pouvait-il être adulé pour avoir fait les choix justes, ou craints pour avoir pris les choix qui lui semblaient bons ?
Il coinça l'humain tremblant sous lui, ses mains enserrant d'une poigne de fer le visage de l'autre. Il déplaça sa tête pour avoir un accès plus proche du cou, il prit son temps pour humer cette nouvelle saveur. Mais ce n'était pas suffisant, il avait faim. Il allait planter ses crocs ayant assez joué avec son festin, lorsqu'il entendit un murmure brisé de la personne. Il s'arrêta. Attendant que le bruit étrange recommence. Le son revint, c'était quelque chose d'étonnant les proies pleuraient parfois mais le plus souvent elles criaient. Pourquoi cet éclat alors ?
Il se recula pour mieux voir et entendre l'homme. Le murmure revint alors, plus doux encore qu'auparavant et surtout plus cassé. Il n'avait jamais entendu ce genre de supplique désespéré dans la bouche d'un autre que lui-même. C'était dérangeant, c'était intriguant. Il parvint à l'identifier néanmoins, elle était toujours la même et toujours répétée en boucle. Ce ne fut cependant qu'au bout de quelques minutes qu'il se rendit compte que ces mots devaient lui être adressés C'était étrange d'être l'objet d'attention de quelqu'un. Il se rapprocha encore plus près de la figure allongée pour mieux comprendre ses paroles, et soudain, elles le frappèrent.
"Noé, ta promesse de destinée était mensonge."
Il se recula brusquement en se tenant la tête entre les mains, alors qu'un semblant de réminiscence se faisait rappeler à sa mémoire. L'humain n'avait cessé de marmonner à propos d'une promesse brisée, et d'un amant déchu sauf qu'il avait la certitude qu'il avait un lien particulier avec ce, médecin ? Oui, il était médecin. Le vampire parvenait à s'en souvenir. Un rire hébété et douloureux s'échappa de ses lèvres abimées. Il n'arrivait cependant pas à se rappeler son propre nom, ou même sa propre identité, ou même la nature de leur lien à cet homme et lui; mais l'homme le savait lui. Non ? Il savait qui il était, il savait la saveur de son nom sur les lèvres de quelqu'un d'autre : il avait besoin de savoir qui il était.
La femme aux cheveux blancs avait voulu le blesser, mais il l'avait arrêté, cet humain était donc une pièce importante dans l'équation de son identité. Mais qui ? Ami, ennemi, partenaire, rencontre d'un instant, ou partenaire de toujours ?
Il jeta de nouveau un regard vif au médecin, avec plus d'intérêt que la dernière fois. Une idée obsédante lui revint en un seul instant : son nom. Il parvenait à retrouver la vague idée de son nom. Une parole hésitante s'échappa au milieu des ruines, un bruit animal au goût d'humanité : "Vanitas ?". L'humain arrêta d'un seul instant de bouger, sa nuque se raidit alors qu'il regardait le vampire au centre de l'espace. Il ne pouvait pas se permettre le luxe d'espérer, mais l'émotion le transperça sans prévenir.
Il avait obtenu la preuve que le Noé qu'il aimait était toujours présent, sans doute avec un esprit en lutte, mais il était toujours là. Il tenta de se relever pour atteindre la forme inerte de l'autre homme en position foetale adossée sur l'autel, mais sa propre condition l'empêchait d'esquisser le moindre geste. Le sans s'écoulait trop rapidement, et il était trop faible pour compresser sa blessure, la mort de Jeanne continuait à la lancer de douleurs fantomatiques.
Le vampire de l'autre côté tourna doucement sa tête vers l'humain accroupi, dos à la figure imposante du Christ en majesté. Il tenta également de rejoindre le jeune homme, une voix au fond de son esprit dérangé ne cessait de lui répéter que c'était "juste". Il ne la comprenait pas, mais il ne pouvait s'empêcher de l'écouter. Il lutta contre la faim grandissante, laissant échapper un grognement de frustration alors que les odeurs devenaient plus fortes. Sa marche était à moitié glissante, à moitié rampante alors que sa famine devenait plus grande.
Il regarda avec étonnement son propre bras, avant de le tendre dans un geste familier vers "Vanitas" devant lui, ils en avaient l'habitude. Il voyait des bribes d'images lui revenir en mémoire, des valses interrompues, des nuits longues avec le rire de l'autre, des baisers trop chauds pour être oubliés.
Un souvenir : une main tendue avec un serment, puis une danse sous les étoiles, et finalement une étreinte des lèvres ? Il connaissait cette histoire, et il voulait d'ailleurs croire que c'était la sienne. Il avait le sentiment intime et profond, que c'était quelque chose qu'ils méritaient tous les deux. Il ne savait pas d'où venait cette certitude, mais il la reconnaissait, elle était viscérale.
Il avait besoin d'un étreinte. Il avait besoin de lui à ses côtés. Il ne pouvait pas être seul. Un seul de ses sourires lui suffisait à se sentir entier. Et là, étranglé par sa propre peur, il avait besoin d'un point de repère. De ses mains sur ses épaules, de ses bras auprès de son cou, de ses lèvres sur les siennes.
Vanitas arrêta bruyamment de respirer, alors qu'un instant l'espoir lui était présenté devant lui. Il allait lui aussi s'emparer de la paume qui lui était offerte, lorsque le vitrail central de la petite église explosa.
La statue se brisa, les doigts pardonnant soufflés par l'explosion.
Des morceaux multicolores de verreries volèrent partout dans l'espace. Des éclats violets, verts, dorés vinrent se mêler au rouge vermeil, tâchant désormais la poitrine du vampire. Les morceaux de verre avaient trouvé logis chez lui, mais il n'eût pas le temps d'enregistrer la forte douleur alors qu'une fléchette tranquillisante se planta dans son cou.
C'est à peine s'il entendit le cri de pur terreur que Vanitas laissa échapper comme une sorte de prière finale dans ce lieu autrefois paradis. L'enfer avait déjà tout remplacé dans cette terre sainte, et peu importe la douleur des deux garçons, les célestes n'écoutaient plus, le regard détourné sans leur guide.

VOUS LISEZ
Les souvenirs d'un Archiviste
FanficUn monstre sévit avec violence dans les rues de Paris. Personne ne semble échapper à son piège quand il vous tient. Pourtant, Mikhaïl semble s'en être sorti, et a réussi à se réfugier à l'hôtel occupé par son frère. Accompagné de son équipe et de No...