Chapitre 22 : Dominique

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"C'est un signe de médiocrité que d'être incapable d'enthousiasme."

Balzac

Le voyage n'avait pas été long, ou du moins, elle ne l'avait pas ressenti comme ça. La route qu'elle connaissait depuis son enfance semblait avoir été raccourcie, peut-être était-ce en raison de ses pensées entremêlées qu'elle n'avait pas vu la longueur du trajet, peut-être était-ce à cause des nouvelles innovations qu'elle n'avait rien pû saisir ? La question et sa réponse restaient en suspens dans l'atmosphère de la voiture qui les conduisait.

Jeanne était en effet à côté d'elle en train de tenter d'imaginer ce qu'elle avait manqué, en train d'essayer de retrouver les souvenirs qu'elle avait perdu, ce qu'on lui avait volé. En train de tenter de comprendre qui l'avait forcé à porter la morsure sur son cou. C'est étrange vous savez une morsure de vampire, c'est beaucoup trop intime, trop personnel et quand ça ne vous appartient pas en plus le choix, ça vous détruit.

Dominique pouvait bien voir en quoi la nouvelle avait affecté Jeanne de découvrir cette partie d'elle dévastée, mais trop de choses se bousculaient dans le monde. Elle voulait en discuter pour la voir sourire de nouveau, elle voulait crier envers son grand-père qui ne lui avait jamais réellement appris que c'était mauvais. Elle se souvenait encore des terribles crises que Noé avait après la mort de Louis, quand le comte l'emmenait avec lui pour s'occuper de ses affaires.

Ils disparaissaient des jours entiers et Noé revenait souvent épuisé, un regard vide dans les yeux, les larmes séchées aux coins des joues. Elle en parlait parfois à son grand-père et il balayait son inquiétude d'un geste. Elle n'avait pas appris à l'aider. Elle l'avait laissé tomber, et soudain elle s'en rendit compte : elle refaisait le même schéma dangereux avec la personne qu'elle aimait. Elle en voulait à son enfance pour ne lui avoir jamais appris les mots, ceux qui pouvaient aider. Mais elle n'allait pas abandonner, elle avait un futur et un présent pour les comprendre et agir en conséquence.

Alors dans la petite voiture les conduisant vers le domaine de son grand-père, elle se rapprocha de Jeanne. Lui prit les mains, et elle commença à lui parler pour l'ancrer avec elle dans un moment privé et juste comme ça, Jeanne se délia des horreurs qui commençaient à prendre place dans son esprit.

﴾ ﴿

La porte du lieu s'ouvrit brusquement à peine les deux jeunes femmes arrivées. Elles se consultèrent d'un regard qu'elles seules avaient le secret avant de s'avancer. Dominique allait mener la marche lorsque Jeanne attrapa sa main au dernier instant. Elle se surprit à esquisser un petit sourire en voyant cet acte réalisé par son amante. Alors elle glissa elle aussi ses doigts dans la main de l'être qu'elle adorait.

Elles traversèrent le long corridor devant l'entrée avant de se trouver dans la salle de bal, elle était jolie. Non, elle avait été jolie, et elle le serait sans doute encore pour quelqu'un venant de l'extérieur, quelqu'un ne connaissant pas les cris et la douleur. Elle aperçut enfin le comte de l'autre côté de la pièce, se tenant négligemment sur sa canne.

L'équilibriste interprétant son dernier numéro l'épée de Damoclès prête à tomber sur sa tête.

﴾ ﴿

Il portait encore son sourire, cette horrible sourire, dénué de sympathie ou d'amitié mais recouvert d'un ensemble de mensonges. Il baissa la tête pour les saluer avant de commencer à s'adresser à elles :

"- Vous voilà enfin arrivées ! Depuis le temps que les astres vous demandaient d'arriver, j'aurai cru que vous étiez plus rapides, après tout, nous ne discutons que de la fin de notre ère. Même votre sœur Véronique aurait pu faire mieux. Vous me décevez franchement, surtout que vous étiez sous la protection complète de mon bourreau. Jeanne recula un peu en voyant son maître, elle analysait l'ensemble de la pièce comme à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un. Elle n'eut pas de chance, il s'en rendit compte.

Les souvenirs d'un ArchivisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant