Chapitre intermédiaire (2) : numéro 70

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"Le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre."

Victor Hugo

Dans sa prison silencieuse, seul l'écho de ses pensées résonnait. L'endroit était immense, le numéro 70 possédait tout le confort qu'il désirait. Des serviteurs invisibles et des automates silencieux venaient lui apporter tout ce dont il avait besoin. Pas une seule âme humaine ne l'avait accompagné depuis le début de son aventure. Il se souvenait de certaines nuits hideuses où il avait souhaité pouvoir encore entendre la voix des maudits. Il se sentait si seul que même les rires cruels de son ennemi lui semblaient préférables.

Sa cellule avait été réalisé de manière brillante, outre le fait qu'il ne pouvait pas sortir du lieu, il y avait un autre élément qui rendait son existence dans ce lieu insupportable : le miroir. Sur l'un des murs se trouvait un immense miroir à double faces. Du côté de l'extérieur, on ne pouvait voir que son reflet; mais du point de vue du garçon c'était l'en dehors qui se peignait. La salle de bal était magnifique, il n'y avait pas à mentir, les ombres dansantes étaient splendides. 

L'horreur du numéro 70 était encore plus terrible du fait qu'il ne pouvait pas se faire repérer. Sans voix, sans aucun moyen de faire du son ou du bruit, comment prévenir les êtres éthérés derrière le miroir ? Alors, il avait passé son temps à regarder ces personnages virevolter, rire, et surtout, vivre. Pendant que lui tentait sauvagement d'exister. Il noircissait et remplissait des pages et des pages fournies par les serviteurs, dedans il y racontait tout. Il y criait sa douleur, il y imaginait sa vengeance avant de tout laisser tomber parce que, qui l'écouterait ? 

Je voudrais leur crier, les prévenir, mais ils ne peuvent rien faire, il ne peuvent même pas m'entendre. Même moi, je ne m'entends pas...

Il avait vu la fin, sauf qu'au lieu de l'aimer comme il l'aurait dû, il en avait haï chaque seconde. Au moment où les ténèbres se sont abattues sur lui, il avait juste eu envie de s'enfuir, mais il n'avait pas pu, la noirceur le rattrapant avant. Il était mort avant même qu'il ne le devine, et puis d'un coup, le monde avait changé. Il y a des regards qui rassurent et d'autres qui blessent, le numéro 70 n'en n'avait pas connu un seul bienveillant depuis le départ de son village.

Au début le monde était sombre, c'était un ensemble de chaos infini plongé dans le néant, et puis, il a ouvert les paupières, et tout a changé : l'ensemble de l'univers était devenu de la douleur.  Pourtant, un scientifique l'avait ramené contre son avis et sa volonté. Lorsqu'il s'était réveillé dans ce monde inconnu, il n'avait pas compris le nom de cet homme. Ce n'est qu'en tendant l'oreille vers les autres cages qu'il apprit le prénom du Dr Moreau. Les autres individus hurlant et criant tout leur soûl parce que l'horreur était la seule chose sur laquelle ils pouvaient se concentrer.

Il avait toujours était silencieux, mais c'était seulement depuis quelques années qu'il était muet. Ses cordes vocales avaient été coupées, arrachées en même temps que sa nuque. Le docteur ne cessait de mentionner que le numéro 70 (comme il l'avait appelé lui-même) était un de ses éléments préférés : il ne se plaignait jamais (il n'en n'avait pas  le pouvoir de toute manière).

Et puis, un jour cette prison a explosé. Il se souvient encore des cris et du sang, puis de la lumière bleue. Une ombre magnifique était apparue, des cheveux blancs brillaient en cascades (il connaissait quelqu'un d'autre avec des mèches ainsi, mais qui ?). Un gamin c'était prosterné en face de l'ombre, en le suppliant de l'emporter, le numéro 70 avait voulu se signaler, lui demander de le prendre aussi, mais aucun son n'était sorti de sa gorge. Et juste comme ça, il avait été abandonné. La prochaine fois qu'il se réveilla, il se trouvait dans cette prison luxueuse et terrible. Et il se trouvait en face de son prochain maître : Lord Rutheven.

J'ai mal.

Il avait trompé la mort par le passé, enfilé un nombre incalculable de masque pour plaire à ses tortionnaires, devenu tant de fois quelqu'un d'autre pour leur plaire, à tel point qu'il avait commencé lui-même à douter de sa propre existence. Il se reconnecta avec la réalité qui l'entourait lorsqu'il vit deux hommes entrer dans sa prison. Son souffle se bloqua lorsqu'il reconnus leur voix.

Les papiers ne suffisent plus.

Il serra les poings en apercevant la silhouette du vampire à droite de Lord Rutheven. Malgré toutes ses années, malgré toutes les épreuves qu'il avait vécu, l'Inconstant avait toujours le même visage. Et si l'on regardait bien ses yeux, on pouvait voir qu'il avait toujours les mêmes tours depuis tout ce temps.

Ta tête au bout de pique sera parfaite.

﴾ ﴿

"- Voici le numéro 70 ! Il me semble, que tu le reconnaît, pas tout les jours qu'on trouve quelqu'un avec ce regard ? À moins que le temps ne t'ais déjà rattrapé vieil homme. la forme du comte de Saint Germain se figea, et l'air ambiant s'électrisa suite aux paroles du Lord.

- Si c'est véritablement lui, pourquoi ne parle-t-il pas ? La ressemblance est troublante voire même franchement fascinante, mais il n'aurait jamais pu agir comme ça, en face de moi.

- Vraiment, tu en es certain ?

- Même si ses yeux sont semblables, ils leur manque encore cet éclat que lui seul possédait. Tu espérais qu'une simple marionnette façonnée par tes soins allait suffire pour que j'exécute ta volonté ?" 

Tu paieras un jour. Un jour tout le monde saura. Et, tu paieras...

À ces derniers mots le jeune homme devant lui, releva la tête abandonnant sa lecture, et croisa le regard de l'ancêtre avec un soupçon d'arrogance. Le vampire recula face à l'intensité qui se dégageait de ses yeux, on aurait presque pu croire qu'il avait peur. Le plus jeune s'avança toujours vers le comte, ses cheveux rebondissaient légèrement à chacun de ses pas. Lorsqu'il fut à sa hauteur, il tendit un papier froissé vers l'autre, il semblait vierge au prime abord, ce n'était qu'en l'ouvrant qu'apparaissait directement son message.

Le vieux vampire prit avec hésitation le morceau avant de le lire. Une seule supplique était marqué dans une calligraphie des plus lisibles : "donne moi mon nom". L'homme au chapeau regarda avec horreur le garçon, avant de murmurer dans la salle vide son prénom : "Louis".

Les souvenirs d'un ArchivisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant