Chapitre 3 : les retrouvailles L

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Voilà. Le jour J.

J'allais retrouver L.

C'était un mélange grisant d'excitation et de peur. Moi, quinze ans, en route pour la Suisse, seule, avec pour seul objectif de revoir un garçon que je n'avais pas vu depuis trois mois. C'était dingue. Audacieux. Et terriblement euphorique.

J'avais ce sentiment de liberté et d'indépendance qui m'habitait depuis toujours. Cette envie de briser les limites, de m'affranchir des attentes. Ce voyage, je le faisais pour lui, mais aussi pour moi. Pour prouver quelque chose, peut-être, à moi-même.

Dans le train, pourtant, mes pensées tournaient en boucle, intenses et chaotiques. Sera-t-il là, sur le quai, quand j'arriverai ? Et si ce n'était qu'un rêve ? Si je descendais du train, seule, et qu'il ne venait pas ? Comment expliquerais-je cela à ma mère ?

Et puis... Et si tout avait changé ? L était-il toujours le même que cet été ? Me regarderait-il encore avec ce mélange d'intensité et de douceur qui m'avait fait chavirer ? Et si, maintenant, il me trouvait banale ? Trop jeune ? Trop... autre ?

Mais avant que mes pensées ne puissent me dévorer entièrement, la voix mécanique du train retentit :

— Vous êtes arrivés à Genève, terminus du train. Tous les voyageurs descendent de voiture. Assurez-vous que vous n'avez rien oublié dans le train.

La seule chose que j'avais laissée derrière moi, c'était mes doutes. Ou du moins, j'essayais.

Retrouvailles

Mon cœur battait à toute allure alors que je descendais du train, ma valise serrée dans une main. Les quais étaient bondés, les visages flous, la lumière froide des néons illuminant la scène comme un décor de théâtre. Je balayais la foule du regard, à la recherche de lui.

Et puis, je le vis.

L, entouré de quelques amis, un sourire éclatant sur le visage. Je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour. Un sourire large, incontrôlable. J'avais envie de rire, de pleurer, de courir vers lui. Je m'approchai, et avant même que je puisse dire un mot, il me prit dans ses bras.

Son étreinte était familière, réconfortante, comme si ces trois mois n'avaient été qu'un battement de cils. Et puis, il m'embrassa. Ce baiser était doux, pressé, comme si nous n'avions jamais été séparés. Tout semblait naturel, évident.

Il m'expliqua rapidement que nous devions passer la soirée avec ses amis. Sa mère, absente, ne reviendrait que la veille de mon départ. Cette idée me troubla un instant. Allions-nous passer ces jours seuls, ensemble, sous le même toit ? J'essayai de ne pas y penser. Pour l'instant, je voulais juste savourer l'instant.

Première soirée suisse

La soirée avec ses amis fut une plongée dans un univers nouveau. Nous étions dans un petit bar, un de ces lieux typiques et chaleureux, où la lumière tamisée et les rires semblaient effacer le froid de l'hiver. L et ses amis étaient drôles, accueillants, mais je me sentais tout de même légèrement étrangère. 

Tout était nouveau, différent.

Nous buvions du Captain Morgan, ce rhum qui deviendrait plus tard mon pire cauchemar. À l'époque, pourtant, cela me semblait sophistiqué, presque adulte. Je suivais le rythme, riant aux blagues, profitant de l'instant.

Quand nous sommes rentrés chez L, une étrange sensation m'envahit. J'étais chez lui. Pas dans un lieu public, pas dans un endroit neutre. Chez lui. Là où il vivait, pensait, dormait. C'était intime, presque intimidant.

Il me demanda où je voulais dormir : sur le canapé ou avec lui. La question semblait plus polie qu'honnête. Nous savions tous les deux quelle serait ma réponse.

Cette nuit-là, dans l'obscurité de sa chambre, nos corps apprirent à se redécouvrir. Nous nous chauffâmes, explorâmes ces gestes hésitants et pressés, mais nous n'allâmes pas plus loin. Il me murmura, dans un souffle : — Tu te débrouilles bien.

Je ne savais pas si c'était un compliment ou un encouragement, mais cela suffit à me faire sourire. L avait de l'expérience, je le savais. Une ancienne relation de trois ans l'avait marqué, lui laissant des blessures qu'il n'évoquait que rarement. 

Mais cette nuit-là, il était présent, entier, et moi aussi.

Les jours qui suivirent

Les journées passaient rapidement, trop rapidement. Nous avions trouvé une routine douce et agréable : des matins tranquilles, des promenades dans le quartier, des après-midi au bar qu'il fréquentait souvent. Le patron, un homme jovial, semblait bien le connaître. À chaque fois qu'il nous voyait, il me lançait un compliment avec un clin d'œil : — Une vraie poupée, cette fille. Tu l'as bien choisie, L.

Ces mots me faisaient rougir. Moi, jolie ? Moi, intéressante ? J'avais du mal à le croire. Mais dans ses yeux, je voyais une fierté sincère. Et cela suffisait.

Le soir, nous retrouvions ses amis, refaisant le monde autour de verres d'alcool et de rires. Nous regardions des films, nous promenions en ville, nous vivions.

Une nuit particulière

Un soir, après une longue journée passée à rire et à boire, nous étions allongés dans le noir. Le silence de la pièce était seulement troublé par le bruit léger de nos respirations. Il n'y avait plus de mots, plus de barrières. Juste cette tension douce mais brûlante qui semblait flotter entre nous.

Il me regardait, et dans ses yeux, je voyais plus qu'un simple garçon de dix-sets ans. Il y avait de la profondeur, de la tendresse, mais aussi une intensité qui me troublait.

Je fermai les yeux, laissant le silence parler pour nous. C'était un moment suspendu, un de ceux qu'on ne vit qu'une fois, mais qu'on n'oublie jamais.

Fragments d'un discours amoureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant