Chapitre 8 : soS

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Dans ce train en direction de Genève, mon esprit était un champ de bataille. Je me répétais que je devais trouver la force d'affronter L. Il ne savait rien de mes découvertes : ses tromperies, ses mensonges, sa manipulation. Il croyait toujours me tenir sous son emprise.

Mais la vérité, c'est que je ne savais même plus si je l'aimais. Était-ce de l'amour ou simplement la déception d'avoir investi autant de moi-même dans cette relation ? Tant de temps, d'efforts, d'argent, de compromis. Ce trajet n'était pas comme le premier que j'avais fait pour le rejoindre, où l'excitation et la passion dominaient. Non, cette fois, c'était différent.

Un pincement au cœur m'envahit alors que je repensais à nos débuts : cette rencontre, ces baisers sur la plage, cette complicité. Non !, me dis-je intérieurement. Je devais être forte. Ce L-là n'existait plus. Peut-être n'avait-il jamais existé. Peut-être n'était-il qu'une illusion que je m'étais créée, ou pire, une illusion qu'il avait savamment construite pour me manipuler.

La voix mécanique de la SNCF interrompit mes pensées : — Vous êtes arrivés à Genève, terminus du train. Tous les voyageurs descendent de voiture. Assurez-vous que vous n'avez rien oublié dans le train.

Ce que je craignais d'oublier, c'était ma colère. Je devais m'y accrocher, la laisser me guider pour ne pas céder en le voyant. Mais dès que je l'aperçus sur le quai, avec ce sourire innocent, je sentis ma détermination vaciller. Il m'attendait, comme s'il était sincère, comme si rien ne s'était jamais passé.

Le poids de la culpabilité

Encore un peu pompette de mon après-midi avec S, je descendis du train dans un état second. L me prit dans ses bras, m'embrassa, et murmura à mon oreille :

— Tu m'as tellement manqué.

Un poids énorme s'abattit sur moi. La culpabilité, l'impression d'être la méchante dans cette histoire. Puis, il me scruta avec insistance :

— Ça va ? Tu as l'air bizarre, on dirait que tu es déçue de me retrouver.

Il avait raison. J'étais déçue. Mais comment lui dire cela ? Je lui répondis vaguement :

— Non, non, je suis juste fatiguée de la semaine et du trajet.

Une fois arrivés chez lui, une pensée sombre me traversa l'esprit : et si je lui faisais goûter un peu de son propre poison ? Une vengeance puérile et dégoûtante. Je savais que des traces de S restaient en moi malgré mes tentatives de nettoyage. Mais non. Je ne pouvais pas descendre à ce niveau. Le mal ne se soigne pas par le mal.

Je pris une profonde inspiration et lui dis : — L, il faut qu'on parle.

Une confrontation inaboutie

Les mots me manquèrent rapidement. Comment dire à un pervers narcissique qu'on sait tout ? Comment lui avouer que je l'avais trompé à mon tour ? Je balbutiai quelques phrases, expliquant que mes sentiments pour lui s'étaient éteints et que j'avais des sentiments pour un autre. Je lui dis également que je savais pour ses infidélités.

Il nia tout en bloc, sans ciller. Puis, dans un retournement typique, il inversa les rôles : — De toute façon, depuis que tu es dans ton internat, tu as changé.

Je proposai une pause. Tout cela n'allait plus. Mais au lieu de s'énerver, L devint incroyablement doux. Il essaya de me reconquérir, usant de mots tendres et de gestes délicats, jouant sur la corde de nos souvenirs partagés. Pourquoi ?, me demandai-je. Pourquoi voulait-il à tout prix me garder ? Était-ce de l'amour ou un besoin malsain de me posséder ?

Avec le recul, je comprends qu'il s'agissait de manipulation. Mais à ce moment-là, ses mots eurent presque l'effet escompté. Il me disait qu'il serait dommage de gâcher une année de relation, que nous avions prévu de passer deux mois ensemble cet été, que ce serait incroyable.

Le retour à l'internat

Quand je rentrai à l'internat, S fut mon refuge. Bien qu'il ne le dise pas directement, il comprenait que je n'étais pas totalement prête à lâcher L. Pour alléger l'atmosphère, il proposa une sortie dans un hangar abandonné, à côté du lycée, avec une amie de ma chambre. L'idée était simple : oublier tout cela autour de quelques verres.

Mais comme souvent, les plans simples dérapent.

L'après-midi au hangar

Devant les rayons d'alcool du supermarché, nous avons décidé, dans un délire typique, de prendre une bouteille chacun. S opta pour un mojito tout prêt, écœurant. Moi, une piña colada dans le même style. Mon amie, plus raisonnable, choisit des bières. Nous avions aussi une bouteille de tequila encore à moitié pleine.

Quelques heures plus tard, dans ce hangar poussiéreux, nous étions ivres. Fatal Bazooka résonnait dans les enceintes, nos rires remplissaient l'espace. À un moment, S et moi nous retrouvâmes seuls. Mon amie était partie s'isoler dans la nature pour un « pipi stratégique ». Nous nous rapprochâmes, et bientôt, nos lèvres se trouvèrent. Ses mains sur ma peau, son souffle contre le mien, tout semblait naturel, évident.

Mon amie revint en titubant et hurla : — Euh les gars, je n'ai pas eu le temps de faire pipi... j'ai vomi et je me suis pissé dessus ! Vous croyez que ça se voit ?

Avec S, nous éclatâmes de rire, essayant de la rassurer :
— Non, non, ça ne se voit pas du tout.

Mais honnêtement, si, on voyait tout.

Elle nous regarda avec un sourire narquois et ajouta :
— Allez-y, vous pouvez ken, je vais ailleurs.

Bourrés et désinhibés, nous avons laissé nos inhibitions de côté. S avait appris à toujours avoir des capotes sur lui. Nous fîmes l'amour dans ce hangar glauque, une union marquée par l'adrénaline et l'ivresse.

Soudain, un cri retentit :

— Y'A LES SCOUTS !


Fragments d'un discours amoureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant