Chapitre 24 : être Volage

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Évidemment, j'ai passé la nuit avec lui, enveloppée de son bras, de sa peau, encore imprégnée de l'effluve de l'alcool qui persistait en moi.

Nous étions simplement enlacés, nos respirations synchronisées emplissant l'espace, et bien que l'excitation fût palpable, nous nous sommes simplement abandonnés au sommeil, du moins moi, car V demeurait éveillé.

Quelques mois plus tard, il me confia qu'il avait été incapable de fermer l'œil cette nuit-là, tant l'excitation le tenaillait.

Après cette soirée, un sentiment de culpabilité m'envahit, comme à chaque fois. Car je retrouvais toujours R, aimant, parfait, mais tellement terne. Avec V, c'était comme si je goûtais à l'éclat de la vie, émergeant d'une sorte de torpeur intérieure. Il dissipait, ne serait-ce qu'un instant, le brouillard qui m'habitait, m'offrant des fragments de clarté, exacerbant paradoxalement l'interdit qui rendait cette liaison encore plus excitante.

Les femmes qui trompent sont rarement évoquées ; les hommes, quant à eux, sont souvent mis en avant. Peut-être est-ce parce que le désir féminin est mal compris, en proie à des stéréotypes sociaux où l'homme est perçu comme celui qui cherche ailleurs, ou peut-être est-ce tout simplement parce que les femmes sont plus habiles, moins enclines à se faire prendre ?

Ces pensées m'assaillaient à ce moment précis.

Les jours suivants, une certaine routine s'installa avec V. Nous nous retrouvions chaque midi, nous échangions des baisers, nous blottissions l'un contre l'autre devant des vidéos. Rien de plus ne se passait, mais déjà son ami ne venait plus. Je pense qu'il avait compris, bien qu'il demeurât discret.

Aux yeux du monde, nous n'étions que les meilleurs amis, V et moi. Notre relation devait demeurer secrète, même aux yeux de nos camarades de classe. Certains connaissaient R, et auraient pu tout révéler. Les commérages et les insultes se seraient propagés jusqu'aux oreilles de R.

Mais tôt ou tard, la vérité éclate au grand jour, elle prend l'escalier, alors que le mensonge lui, prend l'ascenseur.

Puis vint une après-midi pluvieuse qui changea tout, amplifiant une situation déjà délicate. Avec V, nous avons séché un cours pour rejoindre son appartement. Le temps imparti pendant la pause déjeuner devenait insuffisant ; je désirais toujours plus de lui.

Nous nous sommes embrassés dès notre arrivée, puis avons entamé des préliminaires. Le temps a filé à toute allure, et je me suis vue contrainte de rentrer chez moi, dans l'appartement que je partageais avec R.

À cet instant, une culpabilité agaçante me rongeait de l'intérieur, me conférant une infamie que je ne connaissais que trop bien. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de sombrer davantage dans ce que je détestais le plus : la tromperie.

Mais je devais revoir V au plus vite.

Durant la semaine qui suivit, alors que nous étions en stage, j'ai dû fournir à R une excuse totalement farfelue, lui expliquant que je devais dormir chez V pour des raisons pratiques liées à notre stage commun.

Je devais le retrouver chaque soir, et bien sûr, nos retrouvailles se soldèrent toujours par une intimité passionnée.

C'était presque un soulagement, car rien ne nous empêchait désormais de succomber à notre péché.

C'était tellement gratifiant d'explorer des territoires inconnus au-delà de simples baisers, de savourer le temps que nous passions ensemble, si précieux, alors que nos obligations respectives nous rappelaient à la réalité. V n'était qu'une échappatoire, me permettant de renouer avec celle que j'étais, avant.

Au début, notre complicité sexuelle était maladroite, V manquait d'expérience. Il me disait même parfois : « Peut-être que nous ne sommes pas faits pour nous accoupler. » Cette remarque m'avait arraché un rire, sur le moment.

Pourtant, à force de répétition, nos étreintes devenaient extraordinaires. À chaque fois que je partageais ce moment avec lui, j'avais l'impression de me défaire de mes principes, de renoncer à l'amour, au respect de l'autre, de m'abandonner à une sincérité teintée d'égarement.

Je plongeais tête baissée dans l'acte, balayant d'un geste toutes les valeurs que je prétendais défendre. C'était comme si chaque étreinte signifiait l'anéantissement de mon être moral. Je me sentais alors détestable, infâme, et j'emploie ces termes avec une conscience aiguë.

R n'avait pas à subir mes tourments, mais je restais incapable de lui avouer la vérité. J'étais lâche, en pleine négation. Je me persuadais que tout cela était passager, une illusion que je continuais à entretenir, alors que la situation s'aggravait inexorablement.

Durant cette semaine de stage avec V, nous avons passé une soirée ensemble le vendredi. V habitait en plein cœur de la ville. À cette époque, je sortais rarement en ville, R n'étant pas friand de soirées et détestant, par-dessus tout, boire en ma compagnie. Il écoutait davantage que nous ne dialoguions réellement depuis un certain temps.

Nous avons débuté notre soirée dans un pub irlandais, où les bières s'enchaînaient et nos conversations se fluidifiaient, comme à chaque fois que nous nous retrouvions.

Le temps semblait s'écouler à une vitesse vertigineuse lorsque j'étais en sa compagnie, au point que nous nous sommes retrouvés à la fermeture du bar, une heure du matin sonnant déjà à l'horloge.

Pourtant, je ne souhaitais en aucun cas que cette soirée prenne fin, même si ironiquement, nous étions déjà passés au samedi.

Je désirais ardemment que cette parenthèse se prolonge, c'est alors que l'idée m'est venue de consulter Google Maps pour trouver des magasins ouverts.

Par un heureux hasard, nous avons repéré un Proxi à proximité.

Je me trouvais dans un état d'ivresse complet, tandis que je me remémore avec amusement avoir fait une pause pipi derrière une maison du marché de Noël, malgré le froid mordant de cette nuit de décembre. V tentait maladroitement de me dissimuler tandis que nous nous esclaffions de ma débauche totale.

Arrivés devant l'établissement, nous avons constaté que tout était plongé dans l'obscurité. V a appuyé sur un bouton, et un individu est apparu de nulle part.

Nous lui avons demandé s'il vendait de l'alcool, ce à quoi il répondit affirmativement, ajoutant cependant que le paiement devrait se faire en liquide. Ce n'était guère orthodoxe.

Nous avons alors choisi des bières bon marché, des Amsterdam, dont la teneur alcoolique était surprenante pour leur prix modique de 1 euro 90. Nous en avons pris trois au total, puis avons erré dans la ville à la recherche d'un endroit où déguster cette liqueur âpre.

C'est alors que nos regards se sont posés sur un gigantesque canapé, de l'autre côté de la rue, ressemblant étrangement à celui de la série Friends. Nous nous y sommes installés, ouvrant nos bières.

La scène était pour le moins inhabituelle.

Assis sur ce canapé, au beau milieu de la rue animée du centre-ville, nous avons entamé nos boissons, nos cœurs et nos esprits grands ouverts. Certains passants nous observaient avec perplexité.

Il semblait que seule l'immensité du monde extérieur pouvait accueillir notre relation, car si nous nous conformions strictement aux normes sociales, je n'étais rien de plus qu'une infidèle trompant son copain.

Cependant, l'extérieur transcendait cette réflexion superficielle de la sphère sociale ; pour nous, nous n'étions que deux amants, partageant nos tourments aussi librement que nos bières.

Et puis vint l'heure de rentrer, à contrecœur.

Fragments d'un discours amoureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant