Chapitre 14 : rupture forcée S

175 4 0
                                    

Attention, ce chapitre va aborder des sujets sensibles.

Je m'installai confortablement sur le siège passager, la voiture roulant en direction de la mer. L'air embaumait déjà l'odeur des vacances : celle des tubes de crème solaire, des raquettes en plastique et des maillots de bain imprégnés de chlore.

Dans mes écouteurs, J'fais mes affaires de Djadja & Dinaz résonnait, suivi par Champs-Élysées de SCH. Un contraste étrange avec l'image que je renvoyais : 1m56, un visage d'enfant sage. On ne m'aurait jamais crue capable d'apprécier ce genre de musique.

Pour une fois, partir loin de S ne m'inquiétait pas. Je me sentais bien avec lui, même à distance. Mon âme semblait apaisée, et je n'éprouvais plus ce besoin d'anxiété constante. S'il devait me tromper, il le ferait. Alors pourquoi s'inquiéter ?

Je retrouvai vite mes amis d'enfance dans la résidence balnéaire. Nous reprîmes nos habitudes : les bains de soleil, la piscine, les soirées à la plage. Avec S, tout allait bien. Nous nous appelions souvent, et je me sentais heureuse, libre, confiante.

Mais un soir, tout changea.

La soirée

Ce soir-là, comme à notre habitude, nous devions rentrer à minuit, mon amie et moi. Cette amie, je la connaissais depuis mes huit ans. Une confiance totale nous liait, une complicité forgée au fil des années.

Nous fûmes invitées à une soirée dans un mobil-home. Les parents de l'hôte étaient absents, et les bouteilles de vodka ne tardaient pas à circuler. J'étais en confiance, entourée de mes amis. Mon amie me servit des verres, encore et encore.

Je buvais sans compter, portée par l'ambiance légère de la soirée. J'en étais même venue à partager le code de mon téléphone pour que d'autres puissent changer la musique sur l'enceinte.

Mais quelque chose bascula.

Je perdis conscience de mes gestes, de mes paroles. L'alcool m'avait engourdie, et j'étais incapable de réfléchir clairement. Puis l'un des gars m'attrapa doucement, presque mécaniquement, et m'emmena dans une chambre.

L'horreur

Je n'étais plus qu'un pantin, spectatrice de mon propre corps. Mon esprit flottait, incapable de saisir pleinement ce qui se passait. Il me viola.

Comme si cela ne suffisait pas, il appela un de ses amis pour qu'il fasse de même.

Ma combinaison noire fut déchirée. Mon corps, à moitié conscient, gisait là, brisé. Les deux gars finirent par me rhabiller maladroitement. Je n'étais plus rien, plus qu'une coquille vide.

Mon amie était là, debout, observant la scène sans réagir. Elle n'avait pas bu une seule goutte d'alcool.

L'abandon

Quand tout fut terminé, je restai là, prostrée au sol. Quelqu'un hurla :
— Dégagez ! Mes parents arrivent !

Un des gars m'attrapa par le bras et m'ordonna de partir. Je cherchais mon téléphone, désespérée, mais il avait disparu.

Je hurlai, pleurai, incapable de contrôler mes émotions. Mon amie, celle en qui j'avais toujours eu confiance, était partie. Pire encore, elle s'était fait raccompagner par l'un des violeurs, celui qui avait volé mon téléphone.

Je me retrouvai seule. Désemparée

Le déni

Je ne savais pas encore que ce que j'avais subi était un viol. J'errais, désorientée, jusqu'à ce que mes jambes me portent sur une plage. Je pleurai toutes les larmes de mon corps, assise sur un rocher, incapable de comprendre ce qui venait de se passer.

Le lendemain, je me réveillai dans un déni total. Je ne pouvais pas affronter la vérité. Les gars du groupe m'avaient déjà diffamée, me traitant de « nymphomane », de « salope ». Mon amie riait avec eux.

J'étais morte de l'intérieur.

Je pensai à S. Comment lui annoncer cela ? Comment lui dire que j'avais « failli », que je n'étais plus digne de lui ?

Alors, j'ai fui.

Une descente en enfer

Je buvais tous les soirs, cherchant l'oubli au fond d'un verre. Je déposai une plainte, mais uniquement pour le vol de mon téléphone. La pilule du lendemain, avalée sans cérémonie, devint un symbole cruel de mon incapacité à affronter la réalité.

Quand je récupérai un nouveau téléphone, des centaines de messages de S m'attendaient. Je lui expliquai que mon téléphone avait été volé, mais il était blessé.

— Tu aurais pu trouver un moyen de me prévenir, me reprocha-t-il.

Il avait raison. Mais comment lui dire la vérité ?

Alors, je rompis avec lui.

Je lui dis que je voulais passer à autre chose, que L me manquait. C'était faux, bien sûr. Mais je ne méritais pas S. Je ne méritais plus rien.

Le poids de la solitude

Après notre rupture, je sombrai dans une solitude écrasante. Les paysages que j'avais toujours trouvés réconfortants m'agressaient. Le vent, le sable, la mer... tout semblait hostile.

Dans ma détresse, je pensai à L. Peut-être était-il ma seule échappatoire.

Je lui envoyai un message :
— Tu me manques...

Sa réponse ne tarda pas. Il m'appela, me proposant de venir me rejoindre dans le sud.
— Je rentre d'Espagne. Si tu veux, je passe chez toi.

— Oui, répondis-je, faussement enthousiaste.

Quand il arriva, je le pris dans mes bras et pleurai toutes les larmes de mon corps.

Une douleur silencieuse

Ce chapitre de ma vie resta enfoui pendant des années. Je mis du temps à mettre des mots sur ce qui m'était arrivé : le viol, la trahison, le déni. À ce moment-là, je ne voyais pas la victime en moi. Je n'étais qu'une coupable à mes propres yeux.

Mais chaque larme, chaque silence, chaque cri sur ce rocher était une manière de survivre. Ce n'était pas encore une renaissance, juste une manière d'exister, un jour de plus.

Fragments d'un discours amoureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant