Chapitre 30 : un message S

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Avant même d'appuyer sur « envoyer », avant même de trouver le courage de renouer avec S, j'ai dû faire face à une confrontation bien plus effrayante : celle avec moi-même. Cette rencontre n'a pas eu lieu seule. Elle m'a été guidée par une psychologue qui a su mettre des mots sur mes silences.

Pendant des années, j'avais enfoui cette soirée dans un coin sombre de mon esprit, comme on cache une blessure qu'on refuse de regarder. Je m'étais répétée que ce n'était pas grave, que ce n'était rien. Je croyais que j'étais la seule coupable.

« C'était ma faute, n'est-ce pas ? » me disais-je en boucle. « J'avais bu. J'étais restée. Je n'avais pas dit non. »

Et pourtant, chaque fois que ce souvenir refaisait surface, mon corps se raidissait. Une nausée profonde me saisissait, une peur sourde m'envahissait. Quelque chose clochait, mais je n'arrivais pas à l'identifier.

Un jour, poussée par une amie qui voyait bien que quelque chose n'allait pas, j'ai franchi le seuil d'un cabinet de psychologue. Ce fut un acte d'une fragilité terrifiante, mais aussi d'un courage que je n'avais jamais cru avoir.

Le moment où tout a changé
Lors de la quatrième séance, mes mots ont fini par éclater comme un barrage qui cède. Je lui ai raconté cette soirée, cette fameuse soirée que je m'étais interdit de revivre, même en pensée. J'ai décrit les rires au début, les verres qui s'enchaînaient, l'insouciance, puis ce moment où tout avait basculé.

Je lui ai dit comment mon corps s'était figé, incapable de bouger, incapable de dire quoi que ce soit. Comment je m'étais sentie absente, comme si j'étais sortie de moi-même, spectatrice d'un cauchemar dont je ne pouvais m'échapper.

Après un long silence, elle m'a regardée avec une douceur presque insupportable.

« Laura, ce que vous décrivez... c'est un viol. »

Ces mots, prononcés avec tant de calme, ont eu l'effet d'un séisme. Le sol semblait s'effondrer sous mes pieds. Je n'arrivais pas à y croire. Je secouais la tête, cherchant des excuses, une sortie.

« Mais... je n'ai pas dit non. Je suis restée. Je n'ai pas... » Ma voix tremblait, brisée par une culpabilité que je traînais depuis des années.

Elle ne m'a pas coupée. Elle a attendu, patiemment, que mes mots s'essoufflent.

Puis, elle a repris doucement :
« Laura, vous n'avez pas besoin de dire non pour que ce soit un viol. Votre absence de consentement est suffisante. Ce qui vous est arrivé n'est pas de votre faute. Pas même un peu. »

Mes yeux se sont remplis de larmes. J'ai pleuré comme jamais je ne l'avais fait. Toutes ces années de culpabilité, de honte, de silence, semblaient jaillir d'un coup. C'était comme si, pour la première fois, quelqu'un reconnaissait ma douleur, mon histoire, et me donnait le droit de la ressentir.

Elle m'a parlé des conséquences de ces violences. Elle m'a expliqué la dissociation, ce mécanisme de défense où l'esprit s'évade pour se protéger de l'insupportable. Elle m'a montré comment ce traumatisme avait influencé mes relations, comment il avait alimenté mes choix destructeurs.

« Vous n'êtes pas coupable, Laura. Vous avez survécu. C'est tout ce qui compte. Mais maintenant, vous méritez de guérir. »

Une décision difficile

Après des mois de thérapie, j'ai commencé à ressentir une légère lumière en moi, un semblant de clarté. Je savais que je n'étais pas encore guérie, mais j'étais prête à avancer.

C'est là que j'ai pensé à S.

Depuis quatre ans, son souvenir me hantait. Non pas par amour, mais par ce poids de l'injustice. Je savais qu'il méritait la vérité, que je devais lui expliquer ce qu'il s'était réellement passé. Non pas pour qu'il me pardonne, mais pour me libérer de ce mensonge qui avait empoisonné notre histoire.

Un soir, assise sur mon lit, j'ai pris mon téléphone. Mes mains tremblaient, mais je savais que je devais le faire. J'ai tapé ces mots avec une lenteur presque cérémoniale.

Le message à S
Salut S,
Je sais que ce message sort de nulle part et qu'il risque de te surprendre. Cela fait longtemps... mais il y a quelque chose que je dois te dire.
Une vérité que je n'ai jamais eu le courage de partager avec toi. Je pense que tu mérites de l'entendre, pour ce que nous avons vécu, et pour moi aussi.
Si tu es d'accord, j'aimerais qu'on se voie. Une fois. Juste pour parler.

Fragments d'un discours amoureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant