J'avais annoncé à S que je devais partir voir L en Suisse, le week-end après la fin des cours. Une décision que je ne pouvais plus repousser. Il fallait lui rendre ses affaires et lui dire que c'était terminé, en face. Pas de messages, pas de coups de fil. Juste une conclusion digne de tout ce que nous avions vécu.
Mais je redoutais cette confrontation. Je craignais que, comme la dernière fois, sa présence ne m'embrouille, ne ravive des émotions que je pensais éteintes.
S, de son côté, ne cacha pas sa frustration. Pendant plusieurs jours, il m'en voulut :
— Tu ne sais pas ce que tu veux. Ça n'a aucun sens.Puis, peu à peu, il sembla digérer cette annonce. Nous n'en parlions plus vraiment. Je pensais qu'il m'avait comprise. Je me trompais totalement.
Un dernier printemps de folie
Nous étions fin mai, S approchait de ses examens de bac. Malgré la pression, cela ne nous empêchait pas de continuer nos escapades et nos beuveries. Un mercredi après-midi, sous un ciel gris, nous avions décidé de ne pas aller dîner à la cantine. Nous avions prévenu les pions, assurant que nous ne serions pas présents ce soir-là.
Avec une bouteille de tequila, nos immondes boissons sucrées – mojitos et piña coladas tout faits – et quelques sandwichs en triangle, nous avions improvisé un dîner romantique dans notre hangar abandonné. Couchés sur des serviettes, bercés par le son de notre enceinte, nous cherchâmes même des trèfles à quatre feuilles, un passe-temps absurde dans notre état d'ébriété. Et, contre toute attente, nous en trouvâmes deux. Le mien resta des mois dans ma coque de téléphone, un symbole silencieux de cette journée.
L'amour sous les arbres
De retour au lycée, il était presque 19 h. Nous devions être dans nos chambres à 20 h pour l'heure d'études. En passant près du foyer étudiant, nous nous arrêtâmes derrière des arbres, invisibles des regards. L'ivresse et l'envie prirent le dessus. Nous fîmes l'amour là, dans ce coin improbable, ignorant la pluie qui commença à tomber.
Ce fut une mauvaise idée : la précipitation, la position contre l'arbre – inconfortable et douloureuse pour les mains – et le stress d'être découverts. En courant pour regagner nos chambres, trempés et rieurs, S fit tomber son porte-monnaie. Il dut se lever à l'aube pour le récupérer avant que quelqu'un d'autre ne le trouve
La colle et l'ultimatum
Une fois dans ma chambre, encore ivre, une fille de ma classe s'assit sur mon lit, intriguée.
— Oh, il est tellement moelleux, dit-elle, émerveillée.
Je répondis, sans réfléchir :
— C'est normal, c'est de la brioche.Nous éclatâmes de rire. Mais mon euphorie s'éteignit quelques minutes plus tard, quand S m'appela :
— Laura, il faut qu'on parle.Ces mots me firent frissonner, comme si toute l'alcool s'évaporait brusquement de mon corps. Nous nous donnâmes rendez-vous dans un couloir incendie, un lieu interdit mais familier. Pour y accéder, je dus inventer une stratégie ridicule : emprunter un cahier à une fille dont la chambre donnait sur le couloir. Tout cela tourna au fiasco. Une pionne me surprit, et je dus dévaler les escaliers pour me cacher dans les toilettes des garçons.
Quand je remontai enfin dans ma chambre, après avoir séché toute l'heure d'études, la pionne m'attendait. Elle me sermonna longuement et m'infligea quatre heures de colle. Les noms de S et moi apparaissaient sur nos lettres de sanction respectives, et sa mère – qui était aussi ma professeure de biologie – commença à me regarder d'un œil bien moins favorable.
Un éclat de colère
Plus tard, dans ce couloir incendie, je demandai à S ce qu'il voulait me dire d'aussi important. Il était furieux :
— Si tu m'aimes, supprime-le de ta vie !Sa voix, tremblante de colère, résonna comme un ultimatum. Je ne pouvais pas lui promettre cela. Il ne comprenait pas. Je tentai de lui expliquer :
— Je dois lui parler. Je dois faire ça en face.Mais il ne voulait rien entendre. Il frappa violemment le mur, un geste impulsif qui me rappela L. Il se blessa à la main, et le sang perlait sur ses phalanges. Je pris doucement ses doigts entre les miens :
— Fais-moi confiance. Je vais le quitter. Ce ne sera pas comme la dernière fois.Mais au fond, je savais que ses inquiétudes étaient justifiées. Comment allions-nous continuer après le lycée ? Nous ne serions plus à l'internat. Nos chemins allaient diverger. J'avais peur de perdre ce que nous avions, peur de me retrouver seule.
La fin d'une époque
Les semaines passèrent. Notre dernier jour de lycée arriva, teinté de mélancolie. Cet après-midi-là, avec des amis, nous buvions sous un pont, une tradition qui semblait un dernier adieu à nos années d'insouciance. Dans un élan final de folie, S et moi fîmes l'amour dans une forêt voisine. Un tracteur faillit nous surprendre, ce qui nous fit éclater de rire.
En fin de journée, il porta ma valise jusqu'à la voiture de mon grand-père. Ce dernier le dévisagea sans un mot, et je sentis le poids du jugement dans ses yeux.
Quand vint l'heure des adieux, nous nous prîmes dans les bras. Je pleurai longtemps ce soir-là. C'était la fin d'une époque, un chapitre intense, apocalyptique, comme notre relation.
Le départ
Le week-end suivant, je me trouvai à la gare, prête à monter dans le train pour la Suisse. Ce voyage marquait le début d'une fin. J'allais enfin affronter L, lui dire tout ce que je n'avais jamais osé. Mais au fond de moi, une question restait en suspens : étais-je vraiment prête à tourner la page ?
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Fragments d'un discours amoureux
RomanceLes souvenirs sont comme des éclats de verre : fragments éparpillés, tranchants, impossibles à assembler sans se blesser. Pendant longtemps, j'ai refusé de les regarder, de les toucher. Je vivais parmi ces morceaux éparpillés de ma vie, évitant soig...