Chapitre 23 : clair-obscur V

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La réponse de R, bienveillante et douce, aurait dû m'apaiser :
« Oui, nous en discuterons. Je pense que ce n'est qu'une mauvaise passe dans notre couple. »

Pourtant, ces mots m'ont laissée presque déçue. Pourquoi ne m'avait-il pas quittée ? Pourquoi n'avais-je pas eu le courage de mettre fin à cette mascarade moi-même ?

Lorsque nous nous sommes retrouvés dans notre appartement, nous avons abordé le sujet brièvement, comme si cela n'avait été qu'une parenthèse insignifiante. Puis, nous avons continué à vivre comme avant.

Mais ce « comme avant » m'étouffait. Le vide s'est rapidement réinstallé, se répandant comme un poison, aspirant jusqu'aux dernières lueurs de mon âme.

Les meubles soigneusement choisis, les bougies parfumées au musc floral et bois de santal, le tableau d'un artiste contemporain en vogue, et même la plante verte, tout cela devenait le décor d'une cage dorée. Une prison que j'avais moi-même aménagée.

Assise sur le canapé, je contemplais R, inerte devant la télévision. Une question revenait sans cesse dans mon esprit :
« Putain, mais qu'est-ce que je fous là depuis deux ans ? »

L'attente oppressante

J'en avais parlé à ma mère. Je lui avais confié mon envie de le quitter. Mais elle m'avait conseillé d'attendre :
« Il est gentil, il ne mérite pas ça. Tout le monde traverse des phases comme celle-là. Attends Noël au moins, après, tu verras. »

Attendre... Encore attendre.

La logique semblait rationnelle, mais chaque jour, l'attente m'apparaissait comme un étau qui se resserrait sur mon existence.

Je vivais dans une routine suffocante : cours ennuyeux en BTS, rentrer à l'appartement, manger, dormir, rendre visite aux parents le week-end, regarder des films... Faire l'amour mécaniquement, comme un rituel sans âme, un passage obligé avant de rejoindre le sommeil.

Mon BTS, que je n'avais jamais vraiment voulu faire, se déroulait dans un lieu sinistrement baptisé « Chêne », une institution aussi morne que son environnement.

La comédie du quotidien

Au début, j'ai tenté de tout ignorer. Les baisers échangés avec V, les sentiments enfouis, et même les fantômes de mon passé avec S.

J'ai porté ce masque, ce persona, évoqué par Jung, ce « masque sous lequel tout individu se dissimule pour se conformer aux exigences sociales ».

J'ai joué la femme parfaite : souriante, aimable, accomplie, vivant dans 36 mètres carrés soigneusement décorés. Mais je me sentais morte à l'intérieur.

Le besoin de revivre

Deux semaines après cette fameuse soirée, je n'en pouvais plus. Le souvenir de V me hantait. Il avait éveillé en moi des émotions enfouies depuis si longtemps. Je voulais ressentir à nouveau ce frisson, ce rappel que j'étais vivante.

Une ou deux fois par semaine, je m'effondrais en larmes en rentrant des cours. R ne comprenait pas, et je ne parvenais pas à lui dire la vérité. Il aimait une version de moi qui n'existait plus, une femme que je ne pouvais plus être.

Alors, un jour, j'ai craqué. J'ai envoyé un message à V.

Une rencontre chez lui

« D'accord, passe chez moi après les cours, nous pourrons en discuter. »

Ces simples mots de V ont suffi à accélérer les battements de mon cœur.

Quand je suis arrivée chez lui, son appartement de quinze mètres carrés semblait chargé d'une émotion brute que mon propre espace n'avait jamais possédée.

Nous nous sommes assis sur son lit, faute de canapé. Nous n'avons presque pas parlé. Nos regards suffisaient.

Puis, nous nous sommes embrassés.

Ce n'était pas juste un baiser ; c'était une déflagration. Une intensité qui balayait tout le reste. Nous étions enlacés, nos corps et nos âmes en écho.

Mais bientôt, la réalité m'a rattrapée. « Mon bus ! » ai-je murmuré en me redressant, le souffle court.

Je me suis recoiffée à la hâte, quittant son appartement avec un mélange d'exaltation et de culpabilité.

Dans le bus, j'écoutais en boucle Show Me How de Men I Trust, tentant de figer ce moment dans ma mémoire. Je ne voulais pas que ce trajet prenne fin, car cela signifiait retrouver R et mon quotidien dénué de vie.

Un jeudi décisif

Les conversations avec V reprirent, comme si de rien n'était. Nous n'avons jamais reparlé de ce baiser ou de cette soirée.

Puis vint ce fameux jeudi, une soirée avec notre promotion. J'avais prévu de dormir chez V. R, toujours confiant, ne m'avait rien interdit.

La fête battait son plein. Entre les rires et les excès d'alcool, le chaos habituel des soirées étudiantes s'installait. Certains camarades s'étaient égarés dans l'ivresse, nécessitant presque des soins d'urgence.

V et moi, d'un simple regard, avons saisi une bouteille à moitié vide et sommes sortis en courant, ou plutôt en titubant.

Sous la lueur de la lune

Nous avons décidé de marcher jusqu'à la forêt. Le froid mordait nos visages, mais chaque gorgée de vodka semblait suffire à nous réchauffer.

Sous la lueur douce de la lune, le noir complet de la forêt nous enveloppait. C'était là, dans cet espace hors du temps, que nous avons enfin parlé de tout ce qui s'était passé.

Nos paroles, à la fois légères et profondes, nous rapprochèrent encore davantage. Je me sentais enfin comprise, enfin aimée, telle que j'étais, sans masque, sans artifice.

Nous sommes rentrés en riant, commettant des bêtises sur le chemin : échanger les paillassons des voisins, uriner dans les jardins... Nous étions deux enfants, libres et insouciants.

Le retour chez lui

De retour chez lui, je devais dormir sur un matelas gonflable. Mais, devinez où j'ai fini par m'allonger ?

Fragments d'un discours amoureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant