La scène aurait pu appartenir à un tableau dépeignant l'absurde et la tragédie humaine. Nous étions là, enlacés sur le sol froid, sous le regard distant des étoiles. Un ciel indifférent. Une lune complice et la bouteille vide à nos côtés.
Mais mes amis, eux, étaient tout sauf silencieux.
Leurs voix se sont élevées dans la nuit pour nous séparer, pour empêcher que cette folie n'aille trop loin. Ils attribuaient notre comportement à l'alcool, mais dans mon cœur, je savais que l'alcool n'était qu'un prétexte. On trompe parce qu'on le veut, parce qu'on le désire, bien avant qu'un verre ne soit levé.
L'un de mes amis proposa à V de rentrer en voiture avec lui, sobre et lucide. Quant à moi, je rentrai à pied, soutenue par un autre ami.
La dérive du cœur
Sur le chemin, ma démarche titubante trahissait mon état. Mon ami me tenait fermement, tandis que des déclarations incohérentes sortaient de ma bouche :
« Je l'aime, mais en fait non, je ne l'aime pas, il n'est pas mon style. C'est S que j'aime... Je l'aimerai toujours... »Les mots s'entrechoquaient, absurdes et douloureux. Peut-être que l'alcool est bien un sérum de vérité, car à cet instant, tout ce que je disais était sans filtre, brut.
R semblait si loin, effacé de mon esprit. Tout ce qui comptait, c'était V, sa présence, son odeur, l'envie irrépressible de sentir à nouveau ses lèvres pour combler ce mal d'aimer qui rongeait mon âme.
En chemin, des passants dans leur voiture nous ont dévisagés avec un mélange de mépris et de pitié. Mon ami, stoïque, m'a même aidée à ouvrir mon jean lorsque je ne pouvais plus coordonner mes gestes pour me soulager. J'étais redevenue une enfant, vulnérable et perdue.
Une fuite sous la lune
Quand nous sommes arrivés chez moi, R dormait profondément.
Mais V, lui, était là, devant ma porte, attendant.
Je lui ai pris la main, et, comme deux enfants échappés d'un monde trop sérieux, nous avons couru dans la rue sombre. Le rire nerveux s'emparait de nous, une urgence insensée de fuir la normalité, de fuir la vie que je redoutais de retrouver.
Au loin, mes amis nous cherchaient, leurs voix écho dans la nuit, mais nous nous étions cachés dans une ruelle obscure. Là, dans cette ombre complice, nous nous sommes embrassés à nouveau.
Le temps semblait suspendu, filant en accéléré, et pourtant figé.
Mais bientôt, nos amis nous retrouvèrent. Ils nous firent la morale, leurs mots résonnant comme des vagues lointaines contre les parois de mon esprit engourdi.
Le choc du lendemain
De retour chez moi, au lieu de rejoindre R dans notre chambre, je me suis écroulée sur le canapé avec V. Mes amis s'étaient réfugiés dans la chambre de ma petite sœur.
Allongée sur lui, nous échangions des baisers maladroits, imprégnés de l'ivresse du moment et de la fatigue. Nos déclarations d'amour bourrées flottaient dans l'air :
« Je t'aime, tu sais ? »
Et sa réponse, douce et hésitante :
« Moi aussi... enfin, je crois. »C'était une scène à la fois pathétique et tragique, une mascarade où deux êtres désorientés se cherchaient dans un chaos affectif.
Puis la porte du salon s'ouvrit.
C'était R.
Le poids qui s'effondre
Il se tenait là, figé dans l'embrasure de la porte. Sa voix était froide, tranchante :
« J'ai tout entendu. Tu me dégoûtes. »Son regard était chargé d'une douleur brute, insoutenable. Imaginez ce que cela doit être : voir la personne que vous aimez, avec qui vous avez partagé deux ans de vie, embrasser quelqu'un d'autre et lui murmurer des mots d'amour.
Il prit ses affaires, sans éclat de colère, et partit.
Je ne l'ai pas retenu.
J'étais trop ivre, trop anesthésiée par l'euphorie et le désespoir mêlés, pour ressentir toute l'ampleur de ce qui venait de se passer. Je le regardai partir, presque soulagée.
Un poids venait de s'envoler : celui d'une relation qui ne me convenait plus, d'une pression latente, de la peur d'un futur figé.
Mais ce soulagement fut de courte durée.
Le matin d'après
Je me réveillai avec une gueule de bois paralysante, à côté de V, encore allongé sur le canapé. Rien ne s'était passé entre nous cette nuit-là. L'ivresse et le choc avaient eu raison de toute autre impulsion.
Mais une angoisse insidieuse me submergea.
« Qu'ai-je fait ? »
Les questions me harcelaient, un raz-de-marée de préoccupations logistiques et non sentimentales :
« Comment gérer l'appartement ? »,
« Que vais-je dire à ma famille ? »,
« Et si je me retrouvais seule ? »Ce n'était pas R qui me manquait. C'était l'habitude, le confort d'une vie réglée et connue.
Quand ma mère et ma petite sœur rentrèrent, je leur racontai tout, en pleurs. Ma mère ne me jugea pas. Elle m'encouragea à parler à R, à essayer de réparer ce qui pouvait l'être.
V, lui, semblait silencieux, presque effacé. Ma mère lui proposa de le déposer à la gare.
Je ne lui prêtai que peu d'attention, mon esprit trop accaparé par le chaos que j'avais créé.
Un message dans le vide
Plus tard, je pris mon téléphone et envoyai un message à R :
« Salut, écoute, je suis désolée pour ce qu'il s'est passé hier soir. J'aimerais qu'on en discute. »Je n'attendais pas de réponse.
Mais, à ma grande surprise, il répondit rapidement.
Sa réponse, concise et directe, m'a laissée perplexe.
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Fragments d'un discours amoureux
RomanceLes souvenirs sont comme des éclats de verre : fragments éparpillés, tranchants, impossibles à assembler sans se blesser. Pendant longtemps, j'ai refusé de les regarder, de les toucher. Je vivais parmi ces morceaux éparpillés de ma vie, évitant soig...