J'attendais S avec une impatience mêlée de panique.
Je voulais tout lui dire, lui hurler que je l'aimais, que je n'avais jamais cessé de l'aimer. Mais au fond, je savais que j'étais incapable de mettre des mots sur ce qui m'habitait.
Nous nous sommes retrouvés sur un muret, en face de la gare. Mon train n'était pas encore là, nous avions une heure devant nous. Une heure pour tout dire, tout réparer. Mais une heure, c'est court. Une heure, c'est trop peu pour soigner des blessures aussi profondes.
Quand le silence devient assourdissant
S était là, à quelques centimètres de moi. Je voulais parler, lui expliquer. Mais rien ne sortait.
Je me suis mise à rire, nerveusement, maladroitement. Ce rire qui s'échappait de moi était comme un masque, une tentative pathétique de cacher ce que je ressentais vraiment.
C'était comme ces acouphènes qui résonnent dans une pièce silencieuse, un bourdonnement incessant qui devient insupportable. Sauf que ce n'était pas dans une pièce silencieuse que cela se passait, c'était dans ma tête.
Mon esprit criait que je devais lui dire la vérité. Mais à chaque fois que j'essayais, ma voix restait coincée dans ma gorge, étouffée par la peur et la honte.
Je riais alors, espérant que ce rire couvrît le vacarme en moi.
Un amour déchirant
S était mon centre, ma lumière. Être près de lui, même dans ce moment d'incompréhension, était une sorte de répit.
Je l'aimais avec une intensité qui me consumait. C'était un amour viscéral, celui qui prend aux tripes et laisse une empreinte indélébile, même des années plus tard.
C'était comme si, à ses côtés, ma vie reprenait du sens. Tout était plus lumineux, plus doux.
Mais ce silence entre nous, ce fossé qui semblait s'agrandir malgré la proximité, était insupportable.
Le mythe des âmes sœurs
En le regardant, je me suis rappelée ce mythe de Platon que j'aimais tant.
Dans Le Banquet, il est dit qu'au début des temps, les humains étaient complets, unis à leur moitié. Une seule entité parfaite, à huit membres et deux visages. Mais Zeus, furieux de leur arrogance, les a séparés. Depuis, nous errons, chacun à la recherche de notre moitié perdue, de notre âme sœur.
S était cette moitié. Il était cette partie de moi que je n'avais pas encore retrouvée, mais que je cherchais désespérément.
Un malentendu qui fait mal
Mon sourire, mon rire... tout cela a dû le convaincre que je ne ressentais rien. Que notre séparation n'avait eu aucune importance pour moi. Que je jouais encore avec lui.
Je voyais dans ses yeux qu'il ne comprenait pas. Comment aurait-il pu ? Je ne lui donnais aucune clé, aucun indice.
Quand il m'a demandé de supprimer L de mes réseaux, ma réponse fut d'une absurdité presque insultante :
— Si tu me fais confiance, tu dois croire que je n'ai plus rien à faire avec lui.Même moi, je ne comprenais pas pourquoi je conservais ce lien avec L. Peut-être parce qu'il était le dernier vestige d'une version de moi qui n'existait plus. Une version insouciante, qui n'avait pas encore été brisée.
Mais pour S, cette réponse a dû être la goutte de trop.
Le baiser d'un adieu
Quand l'heure s'est écoulée, il m'a raccompagnée jusqu'au quai. Il s'est arrêté, m'a regardée avec une intensité qui m'a presque coupé le souffle et m'a dit :
— Allez, viens là.
Il m'a attirée contre lui, passé un bras autour de ma taille, et m'a embrassée.
Ce baiser... c'était comme une décharge électrique qui parcourut tout mon corps. Une explosion de sentiments que je ne pouvais plus contenir.
Mais quand il s'est éloigné, son regard...
Ce regard de peine, de désillusion. Ce regard qui disait tout ce que ses mots ne pouvaient formuler.
Il s'est retourné et est parti sans un mot, sans un regard en arrière.
La dernière note
Je suis montée dans le train, le cœur battant, l'âme en morceaux.
Assise dans mon siège, je pris mon téléphone et lui envoyai un message :
— Ça va ? Je suis contente de t'avoir retrouvé.
Quelques secondes plus tard, sa réponse est apparue sur mon écran.
Ce qu'il écrivit fut un coup de poignard.
Un choc qui décomposa tout mon être.
Ce fut la dernière fois que je me sentis si vide, si brisée, si incapable de me relever.
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Fragments d'un discours amoureux
Romance« Suis-je amoureux ? Oui, puisque j'attends. L'autre, lui, n'attend jamais. Parfois, je veux jouer à celui qui n'attend pas ; j'essaie de m'occuper ailleurs, d'arriver en retard ; mais à ce jeu, je perds toujours : quoi que je fasse, je me retrouve...