⭐️ Par une nuit noire

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C'était en hiver, une de ces nuits interminables de nouvelle lune où l'obscurité s'étendait comme un suaire sur la ville endormie. Le froid mordant s'insinuait dans les rues désertes, chassant les rares âmes égarées qui se pressaient pour échapper à son étreinte. Seuls quelques échos discordants venaient ponctuellement troubler le silence lugubre : une sirène de pompier déchirant le ciel nocturne, les râles incompréhensibles d'un homme ivre titubant sur le trottoirs, ou les cris exubérants de groupes de jeunes éméchés qui montait jusqu'au troisième étage de l'immeuble parisien. Là, les lumières figées de la ville menaient une lutte inlassable contre la noirceur de la chambre, transperçant parfois d'un pâle rayon les rideaux légers.

Couché sur le lit encore fait, un étudiant gisait comme une épave. Tout habillé de ses vêtements de ville, son corps soulevé en vagues régulières par un ronflement rauque, il formait une tache sombre sur le blanc immaculé des draps. Sur la table de nuit, son téléphone, dernier survivant de la triste soirée, s'efforçait de son écran bleuté de percer l'obscurité pour attirer l'attention du jeune homme amorphe par ses vibrations intermittentes.

Dans un ultime effort pour réveiller son propriétaire, il se jeta du haut de la table et percuta le parquet avec un bruit sec qui se perdit dans le silence. L'étudiant sursauta. Ses sens encore engourdis par le sommeil et les effluves d'alcool se mirent à l'affut. D'un geste malhabile, il récupéra le responsable de son réveil et scruta l'écran, ébloui par sa lumière blafarde.

4h40 ... 10 appels manqués dont 8 de la part des Baxter.

Un frisson glacial lui traversa l'échine, dissipant en un éclair la fatigue et l'ivresse qui embrouillaient son esprit. Il se redressa avec précipitation. Sa respiration s'accéléra et des gouttes de sueur perlèrent sur son front tandis qu'il appuyait fébrilement sur le bouton de rappel. Dès la première sonnerie, une voix féminine, haletante et brisée, résonna à l'autre bout du fil :

— Édouard !

La cadence de son cœur s'accéléra à l'unisson des pleurs de la femme. Elle prit une longue inspiration, avant de dire avec lenteur, comme si chaque mot qui sortaient, emportait avec déchirement une part de son cœur.

— Elle s'est encore évanoui... Elle a eu un accident...

La voix se perdit dans un nouveau sanglot. Elle n'avait pas besoin d'en dire davantage. Il avait compris avant même qu'elle ne décrochât. Le regard d'Édouard demeurait figé dans les ténèbres glaciales de la chambre, tandis que Madame Baxter tentant de maitriser ses hoquets, annonçait la terrible nouvelle :

— Elle est partie... Ma précieuse perle... Ma fille chérie...

Lui n'entendait qu'à peine les explications concernant les circonstances de l'accident. Les mots qui sortaient du téléphone se répercutaient mollement contre les murs, pour se perdre à nouveau dans le silence oppressant.

Il aurait dû la retenir... Il aurait dû la suivre... Il aurait dû la raccompagner... Il aurait dû... Les regrets tourbillonnaient dans son esprit dans un tumulte de « si seulement ». Plus il se répétait ces phrases, plus la réalité s'insinuait impitoyablement en lui, s'imposait avec une cruauté implacable. Il était à bout de souffle, incapable de prononcer la moindre parole. Qu'aurait-il pu déclarer après cela ? Son mutisme en disait bien plus que n'importe quel discours. Les mots étaient bien impuissants face à la douleur lancinante qui le paralysait et qui déchirer la voix et le cœur de son interlocutrice. Qu'y avait-il à ajouter face à la mort ?

Elle ne sera plus jamais près de lui... Il ne sera plus jamais avec elle... Cette vérité s'imposait à lui avec brutalité, une lourdeur indicible s'enracinait dans le creux de son être tandis que la voix abattue de Madame Baxter tentait en vain de capter son attention :

— Édouard... Je t'en prie... Dis quelque chose...Éd...

Insensible à ces appels de détresse, il raccrocha machinalement.

S'apercevant soudain qu'il était en apnée depuis plusieurs secondes, il reprit une profonde respiration, avant de se noyer à nouveau dans un océan de remords et de chagrin : elle ne sera plus jamais là... et c'était de sa faute...

Dans un geste désespéré pour échapper à ce naufrage émotionnel, il jeta avec rage son téléphone contre le mur et le regarda avec sidération se casser en morceaux. Désormais seul face à lui-même, il fixa les éclats de verre et de plastique éparpillés devant lui, petits fragments de désolations à l'image de son âme brisée.

Dans le silence assourdissant, des tremblotants incontrôlés parcoururent son corps, secouant ses mains qui se crispèrent sur son visage. La sueur froide qui ruisselait de son front se mêla aux larmes brûlantes qui sillonnèrent ses joues. Un hurlement déchirant d'échappa de ses lèvres :

— Jane !

Une nouvelle vague irrépressible de douleur le submergea et il s'effondra sur le parquet. Des larmes intarissables inondèrent son visage, lavant peu à peu toute expression, pour ne laisser place qu'à un masque de douleur, une détresse qui semblait ne jamais devoir disparaitre. 

La nouvelle Jane (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant