Dans cette ambiance luxueuse et feutrée, où même les murs semblaient être confortables avec leurs papiers peints capitonnés, Elfie se sentit insignifiante. Ses concurrents, vêtus de le plus beaux atours pour l'occasion, semblaient la surpasser de très loin. Pour étouffer ses doutes et sa gêne, Elfie se concentra sur ses chaussures. Comme eux, elle avait également mis ses habits les plus élégants : une robe noire, sobre et classique mais d'excellente qualité, une jolie veste blanc cassé finement brodée et des escarpins beiges à talons. Ces éléments constituaient en réalité les seules pièces de sa garde-robe qui seyaient à un lieu aussi prestigieux. Néanmoins, ils étaient un peu passés de mode, et elle regrettait de ne pas avoir eu l'audace d'emprunter l'un des tailleurs d'Ambre. L'appréhension de lui abimer un vêtement qu'elle ne pourrait jamais lui rembourser, l'avait retenue.
Ambre Fournier représentait la personne qui se rapprochait le plus d'une amie pour Elfie, sa seule amie. Elle était devenue depuis peu sa colocataire, ou pour être plus exact, sa logeuse, car les revenus minables de serveuse d'Elfie ne lui permettaient pas de se payer le moindre logement à Paris.
Si une unique expression devait dépeindre cette jeune femme, ce serait sans nul doute celle de jeunesse dorée. Autant dire qu'un abîme séparait le monde d'Elfie et celui d'Ambre. Il y avait entre elle autant de différences qu'entre une rédaction écrite par un élève de primaire et l'œuvre grandiose de Victor Hugo. Tandis que l'école de commerce la plus réputée de Paris semblait être le chemin tout tracé d'Ambre, dont le père dirigeait une florissante entreprise d'import/export de textiles, celui d'Elfie la conduisait plutôt à devenir vendeuse ou caissière dans sa ville natale de Savoie.
Cependant, sa volonté de fer avait explosé toutes les statistiques. Non seulement Elfie avait réussi à intégrer HEC, mais ô miracle ! elle avait terminé parmi les majors de sa promotion. Il convient de souligner qu'elle avait réussi cet exploit, tout en jonglant avec des emplois précaires de serveuse et en faisant la majeure partie des devoirs d'Ambre et d'autres élèves, afin de subvenir à ses besoins et de couvrir les frais que sa bourse ne parvenait pas à combler. Un parcours aussi exemplaire et extraordinaire devrait théoriquement vous ouvrir toutes les portes, n'est-ce pas ? C'est aussi ce qu'Elfie, ingénue, avait cru.
Malheureusement, une fois son diplôme en poche, elle se prit de plein fouet la cruauté de la vie et comprit que les bonnes notes ne suffisaient guère à obtenir un gagne-pain suffisant pour vivre décemment à Paris. Encore moins, pour accéder au seul emploi dont Elfie avait toujours rêvé. Elle fit l'amère expérience que dans ces cercles privilégiés, les relations et les réseaux comptaient infiniment plus que les titres universitaires et les capacités intellectuelles.
— Suivant ! résonna une voix puissante provenant de l'autre bout de la pièce.
Une dame à la coiffure tirée à l'extrême saisit son petit sac en cuir vermeil, et se dirigea d'une démarche hautaine vers l'escalier dérobé où était sorti l'appel. Telle une mâchoire géante, ce dernier l'engloutit, la conduisant jusqu'au bureau du directeur.
Elfie observa cette scène avec appréhension, et pour retrouver un peu de contenance, saisit le premier magasin à portée de main. En couverture, trônait le portrait impeccable de Félix de Trannoy. À la fleur de l'âge, ce trentenaire avait des allures de dandy du XIXè siècle, affublé d'un veston à carreaux et d'un nœud papillon. Ses lèvres fines, encadrées par une barbe soignée, s'arquaient en un sourire tenu lui donnant l'air fier et solennel de tous les hommes d'affaires qui réussissent. Toutefois, son regard soucieux marquait son front de profonds sillons.
Quel manque d'humilité que de faire étalage de sa propre effigie dans la salle d'attente de son entreprise ! En y parcourant les premières pages avec une curiosité dédaigneuse, elle se rendit compte avec circonspection qu'elle ne connaissait Vandenesse et son directeur qu'à travers les dires d'Alen Rummage. Celui-ci affirmait que Félix de Trannoy était un imposteur, pratiquant une concurrence déloyale en commercialisant des produits mensongers. Ces derniers mois, Vandenesse avaient conquis une part significative du marché grâce à la vente de parfums 100% naturels et français, suscitant un engouement chez la jeunesse en mal d'authenticité. Cependant, selon Alen Rummage, il était impossible de produire des parfums à l'odeur persistante sans recourir à des substances de synthèse, et encore moins avec des produits exclusivement français. Ce furent les menaces de Félix de Trannoy de le poursuivre en justice pour concurrence déloyale par dénigrement qui eurent raison des accusations de Rummage. Voilà bien peu de matières pour argumenter la volonté de la nouvelle diplômée de rejoindre les rangs de Vandenesse. Elfie saisit donc l'opportunité offerte par ce magasine pour approfondir la compréhension de son possible futur employeur.
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La nouvelle Jane (En réécriture)
Espiritual« Mademoiselle Elfie Vuarnet ?... Ici vous serez Jane ». Voici la première phrase que Félix de Trannoy dit à sa nouvelle assistante, Elfie. Tout juste diplômée en commerce, elle vient de conclure un marché risqué avec Rummage, célèbre parfumeur pou...