Une fois qu'il entendit le cliquetis de la porte qui se refermait derrière Elfie, Félix prit une profonde inspiration, comme s'il eut été en apnée depuis plusieurs minutes. Sa présence lui était de plus en plus essentielle et il était aussi de plus en plus difficile de contenir ce qu'il ressentait quand il la voyait, quand elle riait, quand elle était juste là devant lui, même quand elle était en colère... Et ce coup de téléphone ...
Et il serra les poings de douleur en repensant à elle. Sa jalousie, Jane la détestait. Il ne pouvait pas reproduire la même erreur une seconde fois. Jon Evans... Voilà le nom qui était apparut sur le téléphone de sa bien-aimée à l'époque et quand il avait répondu comme aujourd'hui aucun son ne sortit de l'autre côté.
Ils n'étaient même pas encore en couple à l'époque, mais la jalousie d'Édouard, elle, s'était déjà bien appropriée sa belle Jane. Comment ne pouvait-il pas se fâcher lorsqu'un autre homme osait approcher sa Jane ? Ils étaient chez un des amis de Jane pour une soirée jeux de société et cette dernière était allée aux toilettes laissant son téléphone sur la table basse.
- Qui est Jon Evans ? demanda-t-il d'un ton inquisiteur à peine Jane eut-elle remit les pieds dans le salon.
- Édouard, pourquoi as-tu mon téléphone entre tes mains ? demanda Jane le visage fermé.
- Jon Evans t'a appelé, qui est-il ?
- Calme-toi Édouard, c'est un cousin.
Comment voulait-elle qu'il se calmât ? Jane, toujours insouciante et optimiste, lui avait assurait qu'il n'y avait rien entre eux.
- Édouard, ne me connais-tu pas encore ? La confiance est essentielle dans une relation saine.
Lui faisait-il confiance ? À elle surement, absolument, elle était pure, elle était irréprochable. Il fallait être lucide, en réalité, il lui avait reproché ce que lui-même faisait, c'était lui qui l'avait trompé, plus d'une fois, et non le contraire. Jane, elle était trop intelligente, trop droite, trop sainte pour commettre un tel acte ; c'était à lui, le pitoyable Édouard, à qui il devait ne pas faire confiance. Elle, elle était parfaite, lui, il était brisé, lui qui n'avait reçu que peu d'amour, comment pouvait-il en donner ?
Le schéma était toujours le même, se reproduisant à l'infini dans des circonstances similaires.
La première fois que cela arriva fut quelques jours avant cette querelle. Jane et lui n'était qu'amis à ce moment-là, pouvait-on alors dire qu'il l'avait trompé ? Pourtant ce fut bien ainsi qu'Édouard se sentit après coup.
Il venait alors d'entrer à HEC et connaissait Jane depuis cinq mois. Il avait été invité à une soirée par ses camarades de promotion, une soirée étudiante typique : alcoolisée au possible et orgiaque évidemment, telle que toutes celles dont sont aujourd'hui capables les étudiants aux vies vides de sens. En Khâgnes, il avait toujours réussi par chance à échapper à ce genre de soirée grâce au travail sous lequel il était écrasé et sa détermination de réussir mais surtout grace à la compagnie omniprésente et salvatrice de Guillaume, tout aussi perché que lui. Il y avait bien sûr eu quelques dérapages mais les filles de leur promotion étaient bien trop fades, bien trop banales, pour les élitistes et rêveurs qu'ils étaient, suspendus à leurs poésies. Enfin, Guillaume aimait la poésie, pour Édouard c'était le théâtre, mais ils partageaient avec délectation leurs passions.
D'un autre côté, plus il apprenait à connaître Jane, plus Édouard se heurtait, non sans ravissement, à sa pureté sans faille. Pour percer son mystère, il savait qu'il lui faudrait du temps. Elle avait une vision de l'amour et du mariage qui ressemblait étrangement à celle des livres qui lui avait appris l'empathie et la profondeur des sentiments humains, des relations emplies d'idéaux et belles valeurs et des amours presque transcendantaux. Pourrait-il goûter cela avec elle ? Elle lui en donnait en tout cas un avant-goût délicieux. Jane était un personnage de Balzac ou de Flaubert incarné et à la manière de Frédéric Moreau, Félix l'aima pendant de longs mois chastement.
Cependant, maintenant que son grand ami Guillaume avait prit un chemin éloigné du sien, entrant au CELSA pour devenir professeur à la Sorbonne, bien qu'il restât à Paris et qu'ils continuassent à se voir régulièrement, Édouard ne put résister bien longtemps à la pression de ses confrères d'HEC. S'intégrer, se faire des relations, apprendre à se vendre, voici le but des écoles de commerce. Édouard ne trouvant personne d'aussi profond que Guillaume avec qui partager sa passion de toujours et face à l'exigence morale de Jane, il se prit sans mal au nouveau jeu de sa nouvelle école. Il ne fut pas bien difficile avec son charisme naturel, sa verve et sa mémoire de séduire des filles en leur déclamant des vers comme il l'avait fait pour Jane un soir de printemps. Et l'alcool n'aidant pas, il céda plusieurs fois à l'ambience lubrique et coucha par ci par là. Et à la manière des héros de ses livres qu'il avait pourtant méprisé pour leur comportement, il se retrouva sans s'en rendre compte à avoir une maitresse.
La sienne s'appellait Zoé, elle était belle, non pas d'une beauté intrigante et éblouissante comme Jane, mais d'une beauté attisant des pulsions bassement animales. Elle était brune avec de doux reflets roux, des lèvres pulpeuses, une poitrine plantureuse et des yeux verts très charmants mais surtout, elle connaissait ses atouts et prenait un malin plaisir à les mettre en avant. Aguicheuse au possible et complètement sous le charme d'Édouard, fascinant par son intelligence et séduisant par son éloquence, elle n'eut que peu de difficultés à atteindre les instincts primaires du jeune homme en pleine effervescence. Pourtant, jamais Édouard n'eut le moindre sentiment pour cette fille qui n'avait aucune profondeur d'esprit et avec qui jamais il n'eut de discussions intéressantes, leurs interactions étant pour la plupart physiques.
Félix se rassit à son bureau les mains dans les cheveux. Zoé était la dernière personne à qui il avait envie de penser à cet instant, elle avait cette mesquinerie purement féminine, prête à tout pour évincer des rivales potentielles et bien qu'elle ne la connût que de nom, elle vouait à Jane une haine infinie, cette dernière lui ayant arraché sans mal et sans effort celui de qui elle peina pendant plusieurs années à se rapprocher.
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La nouvelle Jane (En réécriture)
Spiritual« Mademoiselle Elfie Vuarnet ?... Ici vous serez Jane ». Voici la première phrase que Félix de Trannoy dit à sa nouvelle assistante, Elfie. Tout juste diplômée en commerce, elle vient de conclure un marché risqué avec Rummage, célèbre parfumeur pou...