Depuis le concert et la rencontre avec les Baxter, Édouard s'était abreuvé des conversations virtuelles avec Jane, guettant chacun de ses messages avec avidité, apprenant peu à peu à la connaître. Il se heurta bien vite à l'obstination de la jeune fille car elle ne démordait d'une idée fixe : soit il venait à sa rencontre le dimanche après la messe, soit ils ne se verraient plus.
Il n'avait fallu que quelques lignes échangées pour qu'Édouard comprît que cette femme mystérieuse embrassait ardemment la foi catholique et lui accordait une place prédominante dans son existence. Voulait-elle l'embrigader dans les méandres de sa religion ? Lui, issu d'une famille athée, d'une mère sans aucune ferveur religieuse et d'un père clamant que seul l'argent menait le monde, n'avait entrevu cette foi incongrue qu'à travers les pages de ses livres et dans les quelques édifices sacrés qu'il avait visités, comme souvenir d'un passé lointain et extravagant. Jane, le pensait-elle assez faible pour plonger tête la première dans ses filets mystiques ? Était-elle une si piètre manipulatrice pour espérer le convertir avec un jeu aussi grossier que prévisible ? Aussi, la revoir lui sembla-t-il d'une urgence bien plus impérieuse que de déjouer cette frustre et ridicule tentative. Avec son histoire, le risque de s'engluer dans une dévotion irréfléchie était moindre !
Téméraire, il alla donc affronter la messe et la rejoignit le dimanche suivant.
L'église Saint-Eugène était beaucoup plus à son goût que leur précédent lieu de rendez-vous. Elle était plus humble, plus simple, plus traditionnelle avec son immense rosace au-dessus de la triple porte d'entrée, bien que datant elle aussi du XIXème siècle. L'intérieur le ravit tout autant. Plus chatoyante que la plupart des édifices religieux, ses colonnes et ses plafonds étaient peints de couleurs vives, insufflant une douce allégresse à son âme. Une foule silencieuse et hétérogène se hâtait d'entrer et s'affairait à trouver la place qui lui siérait : personnes âgées, représentants attendus et habituels de la ferveur, mais aussi des groupes de jeunes gens ; des personnes seules ou des familles escortant leurs rejetons revêtus de leurs plus beaux atours ; des visages souriants et d'autres beaucoup plus austères... Édouard, qui avait assisté à une messe qu'à de rares occasions - au mariage d'un cousin et à l'enterrement de son grand-père - fut étonné de cette effervescence et préféra se fondre dans l'ombre à l'arrière. Il chercha néanmoins Jane du regard, et comme entendant son appel silencieux, elle apparut descendant de la tribune par un escalier dérobé, violon à la main. Elle arborait son éternel sourire lumineux, drapée d'une robe blanche et fleurie, qui virevoltait autour d'elle à chacun de ses pas gracieux. Une vague d'émotion le submergea lorsqu'elle le rejoignit.
— Je suis tellement heureuse que tu sois venu, remercia-t-elle d'une voix enjouée.
Elle lui proposa de monter pour s'asseoir à ses côtés avec la chorale, mais Édouard, peu à son aise dans ce contexte, déclina son offre, préférant se recroqueviller au fond de l'église, comme pour fuir au moindre danger.
Sa déception de la voir remonter s'évapora, telle la brume matinale sous la chaude lumière du soleil, aussitôt qu'il entendit s'élever dans la nef centrale les premières notes de l'orgue majestueux, soutenues par le violon envoûtant de Jane. Cette musique, dont la provenance devenait de plus en plus incertaine tant elle envahissait l'espace, semblait descendre directement des cieux sous les voûtes vertigineuses de l'église. Bientôt, un cortège composé d'enfants, d'adolescents et de jeunes adultes, vêtus de robes noires ou rouges et de dentelles, passa devant lui pour rejoindre le chœur. Un homme, qu'il devina aisément être le prêtre, fermait la marche, arborant une magnifique parure blanche et dorée, venue d'une époque révolue avec ses broderies au fil d'or et ses volants en dentelles. Édouard, dans ses maigres souvenirs, ne se rappelait pas d'une entrée aussi resplendissante.
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La nouvelle Jane (En réécriture)
Spiritual« Mademoiselle Elfie Vuarnet ?... Ici vous serez Jane ». Voici la première phrase que Félix de Trannoy dit à sa nouvelle assistante, Elfie. Tout juste diplômée en commerce, elle vient de conclure un marché risqué avec Rummage, célèbre parfumeur pou...