La nouvelle Jane (En réécriture)

⭐️ Une assistante plus... décontractée

Félix de Trannoy avait, une fois encore, passé une nuit agitée... Une énième. Elles se succédaient depuis des semaines, depuis qu'il essayait vainement de retourner la balance et de trouver une nouvelle stratégie pour faire remonter les satanées ventes de Vandenesse. Non que l'entreprise fût en péril ou que ses produits eussent perdu de leur attrait, mais la récente entrée en bourse de la société l'obligeait à démontrer une croissance soutenue pour apaiser l'inquiétude des actionnaires et attirer continuellement de nouveaux investisseurs. Chaque trimestre se profilait avec son lot de rapports financiers à présenter, chaque bilan était décortiqué, portant à bout de bras la survie de Vandenesse sur les marchés ; chaque mauvais résultat pouvait briser la confiance qu'on lui portait. Félix se trouvait ainsi prisonnier d'une angoisse sans fin.

Il avait pourtant bien insisté auprès de son père, arguant qu'il était encore prématuré pour une introduction en bourse. Hélas, Richard de Trannoy restait le maître incontesté du groupe de Trannoy, et n'avait cédé en rien, contraignant Félix à capituler.

Depuis plus d'une heure, le directeur de Vandenesse était assis à son bureau, triturant ses cheveux tout en lisant journaux, rapports et comptes-rendus de toutes sortes à la recherche d'une inspiration salvatrice. La tête lourde de fatigue et de stress, il voyait les chiffres danser devant ses yeux sans y trouver aucune issue. Les premiers employés commençaient tout juste à affluer ; il devait être huit heures. Félix avait une réunion avec ses stratèges cet après-midi mais était très dubitatif. Quelle chance y avait-il pour qu'ils eussent trouvé une conclusion meilleure que les siennes ? Il était convaincu que ce qu'il fallait avant tout à Vandenesse, c'était du temps ; le temps de faire ses preuves, le temps de montrer l'efficacité et la performance de leurs produits, le temps aussi d'obtenir la pleine confiance des investisseurs présents... Or, trois ans étaient un délai bien insuffisant.

Il poussait un énième soupir de frustration lorsque la porte s'ouvrit avec un léger cliquetis. Félix sentit une profonde irritation l'envahir. La tentation de hurler « Fichez le camp ! » le traversa, mais il se rappela à temps qu'il avait désormais une nouvelle assistante et qu'elle avait sans doute des informations importantes à lui transmettre. Il serra les dents et inspira profondément, se résignant à contenir son désir de solitude.

— Monsieur Hofman ne pourra pas venir ce matin, puis-je reporter votre réunion à seize heures ? Je la permuterai alors avec celle de dix heures. Vous verrez donc Philippe Ducarme et les autres responsables de service dans deux heures. Cela vous convient-il ?

Son ton était rapide et saccadé, comme si elle sentait son humeur massacrante et voulait expédier cette tâche en un éclair. Elle ponctua sa phrase en posant un petit dossier sur son bureau dans un geste discret, presque furtif, comme un petit moineau se dépêchant de voler une miette.

Félix grogna de nouveau, tel un ours dérangé dans sa tanière ; l'envie de râler, simple exutoire de sa frustration, le tenaillait, quand bien même son assistante n'y avait aucune part. Cependant, il devait admettre que la proposition de la jeune fille était judicieuse, car il n'aurait probablement pas plus à dire à ses employés cet après-midi que ce matin. Il leva pour la première fois les yeux vers elle et son regard croisa celui de son assistante. Ô malheur, son cœur manqua un battement. « Ce n'est pas le moment » pensa-t-il avec désespoir, mais il ne put détourner la tête. Elle attendait sa réponse, immobile, ses yeux de miel l'observant sans ciller. Le souffle de Félix en fut coupé, ses mains devinrent moites et il se sentit submergé par une émotion qui, tel un torrent indomptable, ébranla sa raison.

Elle n'avait pas ses lunettes !

— Jane ! souffla-t-il, cette seule syllabe étouffée par l'émoi réussit à franchir ses lèvres.