⭐️ Adieu, chères lunettes !

9 2 2
                                    

Au matin suivant, Elfie fut confrontée à une décision épineuse : allait-elle porter ses nouveaux yeux, ainsi qu'elle les avaient baptisés lors de ses réflexions nocturnes ?

Happée par son reflet, elle resta indécise pendant de longues minutes devant sa glace après avoir mis ses lentilles. D'un effleurement timide, presque incrédule, elle parcourut du bout des doigts le visage qui était le sien, comme si elle le découvrait. Des tâches de rousseur, jusque là dissimulées sous ses lunettes éveillèrent d'abord son attention. Elle posa son doigt fébrile sur chacune d'entre elles comme pour se les approprier. Elle jaugea ensuite ses yeux qu'elle trouva d'une taille démesurée, trop ouverts, et prenant trop de place au milieu de son visage tout rond. Avaient-ils toujours été aussi orangés ? Cette couleur ambrée n'était pas réelle tant elle lui semblait éblouissante. Elle maugréa contre cet éclat artificiel, habituellement atténué par ses verres et leurs reflets. Elle reprocha bientôt à son nez ratatiné de paraître encore plus ridicule. Elle se sentait l'antithèse de Cyrano de Bergerac. « C'est un caillou !... C'est un gravier !... C'est un grain de sable ! Que dis-je c'est un grain de sable ? ... C'est une poussière ! » Elle ne put réprimer un sourire ironique en parodiant ces vers d'Edmond Rostand, faisant de son apparence une caricature burlesque. Une amertume profonde lui noua le cœur face à cette nouvelle image qu 'elle détestait. Non qu'elle aimait particulièrement son apparence habituelle, mais au moins elle s'y était accoutumée avec le temps.

Pourtant, la veille, alors qu'elle rentrait chez elle portant ses nouvelle lentilles, Ambre, d'ordinaire avare en compliments, lui avait fait l'éloge de son nouveau visage sans lunettes.

— Ton regard est plus lumineux ce soir, avait-elle lancé de sa voix cristalline et l'examinant attentivement. Tu as mis des lentilles ! s'exclama-t-elle, laissant transparaitre une certaine admiration. C'est incroyable ! Toi, Elfie Vuarnet, tu oses enfin dévoiler ton magnifique visage, tu décides enfin de ne plus te cacher derrière tes grosses lunettes.

Avec un sourire mi-sincère mi amusé, elle lui avait pris la joue comme on le ferait avec une petite fille dont on est fier.

Cependant, le compliment d'une amie ne pouvait suffire à ébranler les barrières qu'Elfie avaient érigées au fil des années. Avec des gestes maladroits, elle retira tant bien que mal les yeux qui n'étaient pas les siens et retrouva son vrai visage où son petit vélo noir flottait sur le bout de son nez retroussé. Voilà qui était bien mieux !

Jetant un regard sur son horloge, elle prit soudainement conscience qu'à cause de toutes ces divagations, elle était en retard et cela ne lui ressemblait guère.

À bout de souffle, Elfie franchit les portes de Vandenesse. Judith, d'un regard inquiet, l'observa reprendre sa respiration et lui lança d'un ton préoccupé :

— Vous voilà enfin, il vous attend. Vous risquez de subir ses foudres !

Comme si elle n'avait pas assez de tourments ! Tandis qu'Elfie s'apprêtait à reprendre sa route vers le bureau de Félix, Judith ajouta avec un air d'encouragement, enfin quelque chose qui s'y rapprochait :

— Si vous acquiescez à ses demandes, il ne vous retiendra pas longtemps. Ses emportements s'apaisent aussi vite qu'ils surviennent.

Armée de son courage et sans même prendre le temps de poser son sac, Elfie s'avança vers l'antre de Tarzan. L'évocation de ce surnom la fit sourire intérieurement, lui insufflant les quelques forces qu'il lui manquait pour ouvrir la porte.

À peine eut-elle le temps d'ouvrir la bouche pour le saluer que la voix tonitruante du directeur résonna :

— Il est 8h12, vous devriez déjà être au travail ! Et qu'avez-vous fait hier ? N'avez-vous pas vu ma note ? Vous n'êtes pas ici pour vous tourner les pouces. J'ai...

La nouvelle Jane (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant