⭐️ Un ange tombé du ciel

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Félix était bel et bien troublé lorsque sa nouvelle assistante quitta son bureau. Imaginer sa nouvelle Jane sans lunette avait effacé toute once de réflexion, l'avait désarmé et plus que jamais il se sentait vulnérable.

Jane...

Au delà de ses traits, de sa voix ou de son sourire, c'était le regard de Jane qui le troubla d'abord. Il portait un éclat captivant, il irradiait d'une lumière mystérieuse, comme éclairé par une source dont il ignorait l'existence. Il fut comme touché par la grâce, ou plutôt, il rencontra la grâce à travers cette jeune fille angélique qui semblait en être l'incarnation. Il se rendit compte pour la première fois, non par une compréhension intellectuelle, mais par une connaissance beaucoup plus intime, beaucoup plus profonde, presque divine, qu'il avait une âme. Ce tressaillement qui avait jaillit en lui, faisant vaciller toute sa personne, était bien plus qu'un simple émoi physique, c'était une résonance spirituelle.

Son regard, jamais il ne pourrait l'oublier et voilà qu'il se retrouvait à devoir croiser celui de sa nouvelle assistante quotidiennement. Quelle idée insensée... Mais quelle idée grisante à la fois !

Pourtant, il devait bien admettre que celui de la jolie brunette en bas de son bureau, quoique similaire à celui de sa Jane, était subtilement différent. Plus lointain, plus fuyant... Mais n'était-ce pas aussi le sien qui se dérobait de peur d'être happé une seconde fois par ce puits de lumière qui l'avait emprisonné la première fois ?

Être près de sa nouvelle assistante lui procurait le même frisson que lors de sa première rencontre avec Jane, à ceci près qu'il n'était pas ivre cette fois-ci. Les souvenirs de sa rencontre avec Jane, bien enfouis dans les méandres de son esprit, relégués en arrière-plan sous des heures de travail, de rapports, de comptes-rendus et de contrats à honorer pour Vandenesse, resurgirent soudain, remuant ses entrailles.

À vingt ans, alors qu'il se faisait encore appeler pas son prénom de naissance Édouard, comment aurait-il pu résister aux charmes incontestable de cette jeune fille pétillante et enjouée ? Comment aurait-il pu ne pas en tomber amoureux ? Son rire, éclatant comme une cascade cristalline, résonna dans les tréfonds de sa mémoire comme un écho persistant. Il revoyait ses fossettes qui s'enfonçaient subtilement sous son nez retroussé et sous ses tâches de rousseurs lorsqu'elle était joyeuse.

C'était lors d'un de ces fastueux galas de bienfaisance où la charité pour les plus pauvres ou malheureux servaient de voile de bonne conscience pour étaler sa richesse, son savoir ou sa gloire. Édouard, à contre cœur, y faisait acte de présence pour éviter les reproches amers de son père, fier d'afficher en public celui qui deviendrait certainement le successeur de son entreprise florissante.

Édouard était alors en deuxième année de classe préparatoire littéraire à Fenelon, prestigieux lycée de la capitale. Contrairement aux vulgaires étudiants en sciences dures qui se bourraient la gueule à la bière bon marché en parlant porno et jeux vidéos, puis braillaient dans les rues de la ville endormie, les étudiants en lettres, et particulièrement en khâgne, avec raffinement s'enivraient de bon vin et déclamaient du haut de leur balcon aux passants tout aussi agacés, des poésies en vers ou en prose.

Ce soir-là, comme toutes les fois où Édouard se trouvait en compagnie de Guillaume Bordier, un grand gaillard blond et fier, fils de professeurs agrégés et ami fidèle de galères littéraires, telle fut la teneur de leur soirée. Tandis que la fête battait son plein à l'intérieur du palace luxueux au cœur de la capitale, les deux compères ivres sortirent, bravant la nuit et le vent encore frais du mois de mai, pour réciter sur la terrasse, leurs monologues à la lune.

Un rire léger et joyeux, comme une petite clochette, sortit Édouard de sa transe poétique tandis qu'il déclamait, dans un élan lyrique, les derniers mots de la tirade de Perdican de Musset :

La nouvelle Jane (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant