Lorsque les premiers rayons du soleil, timides et faiblards, de cette glaciale journée commencèrent à se frayer un chemin à l'horizon, Elfie était déjà sur pied. Le sommeil avait déserté ses paupières depuis longtemps déjà ; avait-elle seulement réussi à fermer l'œil ? Assise sur le rebord de son lit, elle contemplait, par sa grande fenêtre, le jardin du Luxembourg, noyé dans la brume hivernale, où quelques téméraires matinaux couraient le long des chemins gelés, bravant le froid mordant. Ses pensées se bousculaient dans un grand désordre, contrastant avec le ciel impassible et monotone.
C'était le matin de son premier jour de travail chez Vandenesse et, dérogeant à ses habitudes, elle consacra près d'une demi-heure dans la salle de bain pour se préparer. Devant le miroir, qui semblait, lui aussi, frissonner sous l'influence de son angoisse contagieuse, elle arrangeait, ajustait, nouait puis défaisait sa coiffure. Après maintes tentatives infructueuses pour se maquiller, elle s'empara avec frustration du démaquillant de sa colocataire, se débarrassant avec agacement de ces artifices qui la rendait méconnaissable.
Elle avait revêtu la même robe noire qu'elle portait lors l'entretien d'embauche, et ce constat la plongea soudainement dans un inconfort insupportable. Il lui fallait absolument faire bonne figure pour cette journée inaugurale.
Pour l'entretien, elle n'avait pas osé emprunter une des tenues d'Ambre, mais après le coup d'éclat de la belle blonde quelques jours plus tôt, les hésitations d'Elfie s'étaient considérablement estompées. Comme Ambre avait passé la nuit chez son fiancé, Elfie s'introduisit furtivement dans la chambre de sa logeuse, et fouilla dans ses placards à la recherche du vêtement idéal. Après trois ans de rêveries silencieuses, elle se permettait enfin l'audace d'explorer sa magnifique garde-robe, sans toutefois solliciter son autorisation explicite. Elle imaginait d'ici Ambre lui inventer des excuses pour lui refuser ce service, avec son ton mielleux, son sourire forcé et son regard glaçant. Avec une pointe d'anxiété, Elfie passa en revue la penderie bien fournie de son amie. Elle se sentait comme la femme de chambre d'une princesse, qui osait timidement effleurer du bout des doigts la toilette raffinée de sa maitresse. Elle prit grand soin de choisir un ensemble tailleur sobre, une jupe et une veste, que, de mémoire, elle n'avait pas vu Ambre porter depuis une éternité. Se pouvait-il qu'elle ne les ait jamais utilisés ? Leur excellent état le suggérait, et avec un peu de chance, Ambre ne s'apercevrait pas de leur absence. Néanmoins, peinant à faire taire la petite voix qui lui criait qu'elle était une voleuse, Elfie s'exclama haut et fort pour la chasser :
— Ce n'est qu'un emprunt !
Et pour étouffer davantage sa culpabilité, elle ajouta avec détermination :
— J'irais m'acheter des vêtements dès que possible.
L'urgence de cette tâche lui parut plus pressante encore lorsqu'elle vit une pleige désagréable marteler les vitres, et qu'elle dut à nouveau enfiler son éternel manteau.
— Allez, au travail, Mademoiselle Vuarnet ! s'encouragea-t-elle vivement, en jetant un dernier regard à son pâle reflet dans le miroir de l'entrée.
À son arrivée, Mme Asler l'accueillit avec un sourire solennel et se leva promptement pour lui serrer la main. À peine le temps de se défaire de son manteau et de son parapluie qu'Elfie fut guidé par la secrétaire à travers le dédales bureaux, où elle devait lui présenter les équipes et l'organisation de l'entreprise de Félix de Trannoy.
Les vastes locaux de Vandenesse s'étalaient sur la totalité du cinquième étage de l'immeuble, mais occupaient également l'étage inférieur et les combles. Spécialement rénovés pour l'installation de l'entreprise trois années auparavant, la décoration avait été élaborée par des architectes d'intérieurs en vogue pour correspondre au prestige du groupe « de Trannoy », qui présageaient déjà du succès de la nouvelle branche. Au quatrième, se trouvaient les archives et les laboratoires d'essais où étaient réalisés les prototypes des nouveaux parfums ; les laboratoires de fabrication étaient, quant à eux, à l'extérieur du centre parisien.
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La nouvelle Jane (En réécriture)
Spiritual« Mademoiselle Elfie Vuarnet ?... Ici vous serez Jane ». Voici la première phrase que Félix de Trannoy dit à sa nouvelle assistante, Elfie. Tout juste diplômée en commerce, elle vient de conclure un marché risqué avec Rummage, célèbre parfumeur pou...