En arrivant à Vandenesse le jour suivant, Elfie fut saisie par la soudaine apparition de la figure longiligne de Judith, qui se dressa devant elle et lui barra le passage, pareille à une sentinelle. La scrutant à travers ses lunettes rouges, la secrétaire lui tendit prestement un papier.
— Vous avez rendez-vous à 18h ! annonça-t-elle d'une voix sèche.
Elfie jeta un regard confus sur la note, où l'écriture manuscrite de la secrétaire s'étalait avec une régularité parfaite : « Dr Jean-François Madoche, ophtalmologue » suivi de l'adresse.
— Mais comment avez-vous obtenu un rendez-vous si rapidement ? s'étonna Elfie.
— Vous apprendrez très vite que le nom de Trannoy ouvre de nombreuses portes, répliqua Judith.
Un rictus satisfait ourla ses fines lèvres, rehaussées d'un maquillage discret, tandis qu'elle regagnait son poste derrière le bureau. Le cœur d'Elfie se mit à palpiter d'admiration face aux facilités offertes dans le monde des ultra-riches. Elle en avait entrevu l'éclat en côtoyant Ambre et ses amis ; une porte entrebâillée laissant filtrer la lueur des privilèges possibles. Travailler ici lui donnait soudain l'accès à cet univers jusqu'alors interdit, le plaisir de goûter du bout des lèvres quelques uns de ses délices. Des frissons d'enthousiasme parcourent son échine à cette pensée.
— Cependant, n'oubliez pas de vous y rendre ! Et veillez à faire honneur à la réputation de Monsieur de Trannoy, avertit-elle en reprenant son sérieux, fronçant légèrement les sourcils.
Elfie acquiesça, mais ne put retenir un sourire radieux, bravant malgré elle le regard menaçant de Judith. Lorsqu'elle arriva à son poste de travail, son excitation céda place à la curiosité car elle y découvrit un épais dossier débordant de feuilles volantes, posé sur son bureau. Au-dessus, un petit post-it collé frémit à son passage, attendant d'être lu. D'un geste vif, elle déposa ses affaires et le saisit avec impatience. Bien qu'elle ne connût pas encore l'écriture de son patron, elle devina sans peine qu'il en était l'auteur. Les caractères tracés sur le papier reflétaient étrangement sa personnalité : professionnels à première vue avec des lettres bien formées et équilibrées, commençant cependant par une touche d'excentricité avec la majuscule, capricieuse diva, qui s'étalait sur ses plus proches consœurs, et se terminant dans un élan d'impatience.
« Compte-rendus à numériser et à classer »
Et c'était tout ! Pas même un bonjour ou un merci, encore moins d'informations sur la manière de procéder au classement. Elfie retourna le billet, espérant y trouver d'autres informations, mais soupira de déception. Ainsi devrait-elle s'accoutumer à ce patron impétueux et insensible.
Avec une pointe d'appréhension, elle prit connaissance du contenu du dossier : des pages et des pages de compte-rendus se succédaient. Heureusement, Monsieur était quelque peu rigoureux, et les rapports, bien que manuscrits, conservaient une mise en page constante. Elle y repéra rapidement les dates et comprit que ce travail n'avait pas été accompli depuis près d'un an. Quelle galère ! Pourtant, loin de se décourager, elle perçut clairement qu'elle était mise à l'épreuve, il voulait évaluer sa capacité à s'organiser et à répondre à ses exigences.
Remontant les manches de son chemisier blanc, en position de combat, elle se sentit prête à relever le défi que lui avait lancé son patron. Elle n'était aucunement intimidée par ces tâches laborieuses, surtout qu'elle savait que Félix était en déplacement toute la journée, et que par conséquent, elle ne serait pas interrompue par son cri de Tarzan.
Elle échafauda mentalement une stratégie pour optimiser ses efforts, tissant avec rapidité les fils de sa réflexion tout en découvrant le contenu des documents. À mesure qu'elle lisait l'écriture du directeur, elle devenait familière et son déchiffrage aisé, si bien qu'au bout de quelques heures de travail dévoué, Elfie acquit une connaissance presque intime des habitudes de son supérieur. Elle savait discerner en un battement de cil l'essentiel du superflu, et pouvait presqu'y lire ses émotions : son agacement, son ennui, son enthousiasme ou sa déception. Ainsi, s'érigeait sous ses yeux, non seulement les méthodes de travail de son patron, mais aussi les problèmes récurrents et les intervenants réguliers. Elle y lisait enfin en filigrane les objectifs à moyen ou long terme de l'entreprise. En une seule journée, elle avait parcouru la situation de l'entreprise sur une année complète.
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La nouvelle Jane (En réécriture)
Espiritual« Mademoiselle Elfie Vuarnet ?... Ici vous serez Jane ». Voici la première phrase que Félix de Trannoy dit à sa nouvelle assistante, Elfie. Tout juste diplômée en commerce, elle vient de conclure un marché risqué avec Rummage, célèbre parfumeur pou...