Il lui répondit :
— Permettez-moi de développer un lieu commun pour introduire mes raisons. Il ne s'agit pas d'une pensée originale, car il nous est arrivé à tous de l'avoir. Je crois même que c'est peut-être d'ailleurs elle qui nous fait parfois ressentir ce vertige, quand, allongé dans son lit, on semble contenir le monde entier entre la pupille et la paupière fermée. Cette idée, c'est que nous n'expérimentons jamais le présent absolu. Quel que soit le stimulus qui nous assaille : que ce soit la couleur d'un ballon, les cymbales d'un orchestre, le gout d'une fraise, la rugosité d'un tronc d'arbre ou l'odeur de la pluie, tous ces signaux enclenchent des récepteurs de notre système nerveux. Ceux-ci transmettent les messages aussi vite qu'ils le peuvent au cerveau et celui-ci en fabrique, enfin, une représentation consciente. Il nous fait apparaitre le monde tel que nous le ressentons. Aussi proche que soit le stimulus, il y aura toujours ce délai : la transmission du message et son intégration. Nous resterons toujours en retard de quelques fractions de seconde des évènements qui nous entourent. On pourrait alors croire que la seule expérience de présent absolu que nous vivons se trouve dans notre tête : notre pensée, ces mots et ces émotions que nous créons à la source, là, au cœur du centre nerveux et dont nous sommes les seuls témoins en notre for intérieur. Cela reste pourtant encore une illusion, car qu'est-ce qu'une pensée sinon la collaboration de différentes aires corticales qui permettent la représentation intérieure grâce à d'autres jeux d'échanges entre différents neurones ? Qui dit : « échanges entre neurones » — que ce soient des messages électriques ou biochimiques — dit : « délai ». Même un homme plongé dans un coma conscient, ayant comme seule compagnie sa pensée, converse avec une forme déjà disparue de lui-même.
Il marqua une pause puis il poursuivit :
— Peut-être le rêve est-il l'expérience la plus proche du présent absolu que nous pouvons avoir. Il ne se base sur aucune matérialité concrète. Il ne représente pas un signal extérieur ni une pensée en construction, et, par là, il ne prend sa « réalité » que lorsqu'il est intégré par notre cerveau. Cela nécessite certes une collaboration entre différents neurones pour créer l'origine des images dont nous rêvons. Il existe donc un délai jusqu'au moment où elles se créent, mais, ne prenant leur source dans aucun stimulus palpable ou volontaire, on peut considérer qu'elles ne deviennent vraies qu'une fois qu'elles sont assimilées, et donc effectivement perçues.
Il ajouta enfin :
— Contrairement à la réalité qui préexiste à la connaissance que nous en avons, le rêve ne devient réel qu'une fois qu'il est finalement construit. Ces images oniriques, issues d'un travail cérébral inconscient, de par leur pure contingence, n'existent que durant l'instant où elles sont expérimentées. Si je m'endors ainsi en classe, Madame, c'est dans un pur désir de vivre le présent.
— Au coin ! répondit alors la maitresse à Timmy. Cet élève de CE1 était décidément bien dissipé.
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Arborescence et autres histoires
HumorLes grenouilles sont-elles heureuses dans un aquarium de luxe ? Est-ce une bonne idée de porter un costume de Mario à un rencard ? Comment un insecte écrasé au milieu d'un livre peut faire voyager dans le temps ? Peut-on écrire quelque chose d'origi...