Lois de Kepler

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L'amplitude des apsides de Max par rapport à sa mère était encore très faible. Son petit corps de trois ans s'éloignait parfois un peu, pour aller chercher un jouet, pour dire bonjour à quelqu'un, pour assouvir sa curiosité, mais il suffisait qu'il aperçoive à nouveau la masse maternelle pour y être inexorablement attiré. L'attraction était forte et bénéfique pour reprendre l'énergie cinétique nécessaire afin de s'éloigner à nouveau grâce à la poussée orbitale. Il tournait ainsi autour d'elle en des ellipses de grandeurs variables, une sorte de périgée pour la chaleur, apogée pour l'aventure. Alors que Max gagnait en masse, ces dernières étaient de plus en plus grandes à travers les années. Il partait de plus en plus loin et de plus en plus longtemps. Il acquit bientôt la taille nécessaire pour tracer de grandes courbes, mais elles restaient elliptiques. Les retours à la mère restaient nécessaires à son équilibre. Ils le seraient toute sa vie. Il émanait d'elle une force qui l'avait saisi. Alors que son frère avait atteint sa vitesse de libération à seize ans, il ne ferait jamais le même affront de quitter définitivement l'astre qui l'avait pris sous son aile.

Quand Max devint un homme grand et fort, les rapports eurent parfois tendance à s'inverser. Il savait que sa gravité prendrait à la fin le dessus, mais la hiérarchie n'avait pas sa place dans cette relation. Si l'on devait tracer sa trajectoire au crayon tout au long de sa vie, on verrait les nombreux chemins qu'il avait pris, et les multiples orbites dans lesquelles il s'était laissé prendre entre ses mentors, ses amis, et ses femmes. En prenant du recul, on constaterait pourtant qu'une ellipse les englobait finalement toutes : cette ellipse était plus grande que les autres et elle possédait cette constance rassurante qui donnait un équilibre à sa vie. Il s'agissait de l'ellipse qu'il traçait autour de sa mère depuis sa naissance.

Il dut pourtant faire face un jour à la disparition de ce point astral : sa mère s'éteignit définitivement un soir de printemps. Le tracé de Max devint désormais hyperbolique. L'ellipse s'était percée pour être ouverte à jamais. Il errait maintenant dans l'espace selon sa propre trajectoire, à la fois perdu et libre. Il se rappela alors les paroles d'un vieil homme qu'il avait admiré. Il s'agissait d'un vieillard à la masse très puissante, un individu qu'on eut cru libre de toute attache, et de toute origine. Il avait pourtant remarqué avec douceur qu'« un homme ne se remet jamais vraiment de la mort de sa mère ».

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