La scène de ce conte était le temps. Une simple ligne droite avec un point de commencement, clair et précis, et un point de fin, flou et variable. C'était une ligne de vie, la ligne de Katia. Comme dans toute représentation occidentale, le temps s'y écoulait de gauche à droite. La ligne s'étendait dans cet espace temporel abstrait, où la quatrième dimension était la seule réalité concrète.
Katia marquait le présent sur cette ligne. Elle était placée au vingt-neuvième centimètre, et elle avançait doucement, à raison d'un centimètre par an. Le deuxième personnage était le rêve. Lui, il évoluait dans le futur, plus incertain, dans la partie droite nébuleuse de la ligne.
Katia avait développé ce songe depuis longtemps. C'est ce qui donnait un sens à sa vie et elle comptait bien le concrétiser un jour. Ayant trop à faire pour l'instant, elle l'avait confortablement placé dans l'avenir. Peut-être n'avait-elle pas assez grandi dans la peur de la mort. Le futur lui paraissait un endroit sûr où elle pouvait le ranger.
Le rêve, évoluant pour sa part dans cette zone ouatée et ondulante, n'avait que trop conscience du danger qui l'entourait. Il n'avait que trop conscience de la mort qui n'était jamais très éloignée du bout de la droite près duquel il se trouvait. C'est pourquoi, un jour, il entreprit une course, une course à rebrousse-temps. Il fila vers la gauche, à la rencontre de Katia. Il glissa sur le fil avec la même énergie qu'un électron sur une ligne à haute tension.
Il sentait l'air siffler de plus en plus violemment dans ses oreilles. Il tirait de toute sa volonté sur ce fil pour aéroglisser dessus à une vitesse effrénée. Il avait l'impression de faire du surplace malgré tous ses efforts. La mort lui collait toujours au train et Katia s'approchait lentement dans un mouvement de compression. Le rêve se sentait comme coincé dans un traveling compensé entre l'image de Katia qui s'agrandissait et la caméra qui le poussait vers elle. Il ne gagnait pas de terrain : celui-ci se rétrécissait. Cette ligne était maintenant une mèche allumée. Le rêve et l'étincelle filaient vers Katia, l'un pour le prévenir de l'urgence d'agir, l'autre pour lui ôter cette capacité définitivement.Katia continuait d'avancer lentement vers eux, inconsciente.
Le rêve comprit qu'il n'y arriverait pas. Il aurait aimé rencontrer Katia en étant aussi éloigné que possible du bout de cette mèche, mais elle fut trop rapide. C'est à peine au trente-et-unième centimètre que Katia, le rêve et l'étincelle se rencontrèrent tous les trois, pile en même temps pendant cette rupture d'anévrisme qui lui tordit le visage durant plusieurs secondes douloureuses et définitives.
Katia avait enfin conscience de la course folle que son rêve avait tentée pour lui accorder au moins un laps de bonheur, mais il était trop tard.
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Arborescence et autres histoires
HumorLes grenouilles sont-elles heureuses dans un aquarium de luxe ? Est-ce une bonne idée de porter un costume de Mario à un rencard ? Comment un insecte écrasé au milieu d'un livre peut faire voyager dans le temps ? Peut-on écrire quelque chose d'origi...