Chapitre 3 : Une lueur au Nord

111 8 2
                                    

Tout autour de lui n'était plus que désolation. Le monde tourbillonnait et sa peur fourmillait dans ses veines. Ses pieds s'enfonçaient dans la boue, de la tourbe où avait coagulé le sang. Au milieu des arbres blafards étaient étendus des corps. Son souffle lui manquait. Il était paralysé par ses angoisses, les sens en alerte. Son poing était si serré autour du pommeau de son épée que sa peau le brûlait. Ce contact le répugnait, l'horrifiait. Il tenait de nouveau une arme. Une arme faite pour tuer.

Une présence lui fit faire volte-face. Il releva sa garde, prêt à frapper lorsque soudain, son monde s'apaisa.

« Kale, c'est fini. »

Lyanna s'approchait de lui, son arc à bout de bras. Elle était couverte de boue, quelques éraflures à déplorer, mais elle était en vie. Devant son air hagard, elle prit son visage entre ses mains.

« On a gagné. »

Kale se laissa tomber à genoux contre le sol et elle chuta avec lui. Les deux jeunes gens s'enlacèrent, encore tremblants de cette bataille dans la Forêt Blanche. Hors de danger, Kale inspira plus fort, laissant l'air calmer ses peines et l'aider à retrouver la raison. Son épée quitta sa main, souillée par la boue. Lyanna était en vie. Il osa finalement relever les yeux sur le champ de bataille.

Ce n'étaient pas des cadavres qui le jonchaient, mais des prisonniers. Il n'avait pas participé à un massacre organisé mais bien à la libération d'un peuple. Il n'était plus dans l'arène.

Lyanna l'aida à se relever, encore tremblante elle aussi. Pourtant, face à lui, elle gardait un air assuré et un sourire franc.

« Tu as vu Callisto ? » Fit-elle soudain, un brin d'inquiétude au fond des yeux.

Kale secoua la tête et ils s'éloignèrent à sa recherche. Si la bataille n'avait pas été si sanglante que dans son esprit, la peur le prenait néanmoins aux tripes.

Sur les troncs de bois clair, on avait regroupé les puristes, entravés, certains blessés, mais en vie pour la plupart. La mort elle-même doit reculer devant nous : c'était le mot d'ordre. L'unique et indispensable mot d'ordre de cette journée, et de celles qui devaient suivre. Car même avec cette incroyable victoire, ce n'était qu'une bataille de gagnée.

Depuis la fin de l'automne, les choses s'étaient accélérées. A Aust, les tensions étaient montées jusqu'à éclatement. La milice, toujours plus dure, avait refermé son joug sur les hybrides, toujours plus engagés. Aujourd'hui, avec l'aplomb de ses amis et des factions des autres villes, Aaron leur avait offert la victoire.

Aust était une ville forestière qui prospérait grâce à la nature précieuse de ses arbres. Les scieries faisaient vivre la ville et les menuiseries remplissaient les échoppes. Mais seul un groupe restreint de changeurs avait l'accès libre à la forêt. C'étaient les purs les plus influents, ceux qui représentaient l'opulence d'une minorité aisée de la seconde plus grosse ville du territoire. Mais dans leur sillage venaient les hybrides. Abattre les arbres, tirer les troncs hors de la forêt était un travail ingrat réservé aux parias. Avec les tensions toujours plus fortes entre les ethnies, la milice venait gonfler les rangs de ce cortège qui gagnait chaque matin la forêt.

Ces hybrides, destinés à ce travail dédaigné par les purs, avaient presque tous rejoint les rangs de la rébellion. Cette association inégale, outre son aspect symbolique, offrait une récompense à ne pas ignorer : neutraliser les architectes, c'était neutraliser les plus puissants de la ville, crier haut et fort qu'Aust changeait de main. Ainsi, la rébellion s'était scindée en plusieurs groupes et le premier avait gagné la forêt peu avant l'aube.

Kale et Lyanna, chacun à la charge d'une escouade, s'étaient dissimulés entre les arbres, attendant la venue des travailleurs. Au signal, tous avaient surgi de leurs cachettes, et les combats avaient fait rage. A défaut du nombre, leur seule force résidait dans la stratégie et dans la guérilla. Quant au deuxième groupe, chargé d'éliminer tout renfort venant du centre-ville, leur tapage avait résonné jusqu'à la Forêt Blanche. Tous les efforts avaient été déployés pour étouffer les cellules de résistance puriste dans toute la ville. Ce fut l'effet de surprise qui eut raison d'eux.

Legend of Shapeshifters (T3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant